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Lecture d'un chapitre



Lecture du chapitre 5
Nom de l'œuvre : Eter City [Election - 2017] Nom du chapitre : Le Syndicat des Team
Écrit par Requiem Chapitre publié le : 18/6/2017 à 23:52
Œuvre lue 5476 fois Dernière édition le : 5/10/2017 à 16:23
Eter City
- Avant les évènements Soleil et Lune -


Séquence 03.09088 : Le Syndicat des Team


Nous sortons du studio de télévision vers 22 heures. Dehors, la lune a paisiblement remplacé le grand soleil de la journée. Païzanou rayonne. Moi, je suis perdu dans mes pensées. Il va falloir que je me défasse de mon dresseur. Je pensais que choisir un humain peu ambitieux me permettrait d’accomplir mes rêves de grandeur sans être gêné par l’égo d’un humain mais il semblerait que j’avais tort.

La nuit est calme. Seuls les chuchotements du vent dans les feuilles de palmiers, et au loin le bruit doux de la mer, viennent troubler la quiétude de l’endroit. Parfois le hululement d’un Brindibou me fait relever la tête et regarder le ciel étoilé. Pas un nuage ce soir. Les étoiles brillent d’une lueur éclatante. Moi aussi je veux briller. Pourquoi le destin me refuse-t-il ce souhait ?

Soudain les feux d’une limousine se braquent sur nous. Elle est blanche. Païzanou se fige. Par réflexe mes muscles se contractent, prêts à affronter la potentielle menace. Que nous veut-on ? Un vol, un enlèvement ? Peu probable. L’activité criminelle est quasi inexistante à Akala. Il y a bien la Team Skull dont les rumeurs voudraient que cette bande de va-nu-pieds opère à Ula-Ula ou encore le puissant Syndicat des Team à Eter City, mais les tentacules de l’organisation ne seraient que ténues, voire inexistante dans le reste de l’archipel.

Le véhicule approche lentement et s’arrête à notre hauteur. Une fenêtre s’ouvre à l’arrière. C’est Elsa-Mina Æther, la riche héritière qui veut construire une île artificielle au milieu de l’archipel afin d’y recueillir des Pokémon abandonnés. Elle nous fait signe de nous approcher. Le pâle éclat sélénite donne un teint presque surnaturel à son visage délicat. Hypnotisées, mes jambes avancent toutes seules.

- Bonsoir les garçons, nous dit-elle de sa voix d’ange. Je vous ramène ?
Un ravissement tel que je n’avais jamais vu avant éclaire le visage de Païzanou.
- O… Oui !

Nous montons dans la limousine et la jeune femme nous invite immédiatement à nous mettre à l’aise. Aucun de nous deux ne l’est. J’ignore ce qu’il m’arrive. Je trouve la plupart des humains répugnants de mocheté mais il y a quelque chose de magnétique chez cette fille. Cette façon qu’elle a de me scruter. Comme si elle lisait mon âme et l’acceptait telle qu’elle est. C’est… réconfortant.

Pour la première fois de ma vie j’ai l’impression qu’on me voit vraiment. Que l’on me comprend. Je voudrais que cet instant dure éternellement. Le silence dans la voiture s’éternise. L’héritière toussote.

- J’ai été très touchée par ta déclaration, Païzanou.
- D… De ? l’enfant la regarde sans comprendre.
- De ta détermination à vouloir soigner les Pokémon blessés. C’est encourageant de voir d’autres personnes se préoccuper du sort de ces créatures. Si tu savais le nombre de Flamiaou ou de Rocabot qui sont abandonnés sur la route chaque année quand leurs maîtres partent en vacances. Je trouve ça révoltant ! Pas toi ?
- S… Si.
- Ah ah ! Je savais bien que tous les deux nous étions pareils, enchaîne la jeune fille en se penchant pour approcher son visage en porcelaine de Païzanou comme si elle s’apprêtait à lui faire une confidence.

J’observe son manège en silence. Je ne sais plus trop quoi penser. La jeune femme a quelque chose en tête mais elle ménage ses effets avant de dévoiler ses cartes.

- Tu sais, reprend-t-elle, nous aurons besoin de gens comme toi quand j’aurai construit mon refuge pour Pokémon.
- C’est vrai ? demande Païzanou en ouvrant de grands yeux.

Elsa-Mina hoche la tête. Il n’y a pas que mon dresseur qui semble hypnotisé par le chant de la sirène car un long frisson vient me parcourir l’échine.

- Oui… J’ai même une proposition qui pourrait t’intéresser.

L’héritière donne l’impression que ces paroles s’adressent à Païzanou mais c’est moi que ses yeux éloquents dévorent du regard.

Sept ans plus tard.

- Alors v’là le bâtiment secret du Syndic’ des Team, indique Skull après avoir tourné au coin de la ruelle malfamée que nous venons de traverser. Fais pas l’con si tu ne veux pas te faire défoncer, capisce ?

Il est presque midi et la chaleur est écrasante malgré l’absence de soleil, dissimulé derrière le brouillard perpétuel composé de gros nuages cendrés qui tapissent lourdement la cuvette du volcan. Ce matin, Skull a été convoqué par le Parrain et les barons du Syndicat, les plus grands criminels des régions du monde, pour une audience dont il ignore la teneur. D’une main, il essuie son front emperlé de gouttes de sueur moite. Il est nerveux. La preuve qu’il est un peu moins stupide que je ne le pensais.

Il aurait pourtant dû s’en douter après mon combat contre le Tygnon. Il ne m’avait pas donné de consignes particulières – non pas que je les aurais suivies s’il m’avait demandé de perdre le match – mais s’était fait un sacré paquet de fric avec ma victoire (peu de gens parient contre le Syndicat). Bien sûr il avait presque tout dépensé au casino et l’organisation mafieuse avait, de facto, récupéré son argent, mais s’en sortir à si bon compte aurait relevé du miracle. On ne bafoue pas la réputation des Pokémon de combat du Syndicat sans en payer un lourd tribut.

Pourquoi alors Skull accepte-t-il de se jeter dans la gueule du Grahyèna ? En fait, il n’a pas vraiment le choix. On ne refuse pas une convocation du Syndicat des Team. Sauf si vous tenez à ce que votre tête soit mise à prix et que toute la racaille et le rebut de la ville se mette à votre poursuite. Et à Eter City, du rebut et de la racaille, il n’y a que ça.

A l’entrée du building indiqué dans le message, deux Chelours en costard-cravate et lunettes de soleil nous barrent le chemin. L’un d’eux nous intime d’un geste de nous arrêter tandis que son compère lève la patte jusqu’à sa bouche et commence à grogner dans un micro probablement dissimulé dans sa manche. Ça, ou alors il est complètement allumé.

Skull les reluque en ricanant. Il faut dire que ces deux boules de poils aux corps souples comme de la guimauve sont ridicules dans leurs accoutrements humains. Mais contrairement à mon dresseur qui semble prendre l’improbable duo à la légère, tous mes sens sont en alerte. Sous leurs apparences d’adorables nounours trop mignons tout plein se dégage une aura de violence latente. J’ai la conviction que si nous esquissons le moindre geste suspect, les Chelours n’hésiteront pas à nous tailler en pièces et à servir nos têtes sur des plateaux d’argent à leurs maîtres. On n’atterrit pas par hasard au poste de garde du plus haut lieu du crime de la ville la plus criminelle au monde !

Après quelques instants, le Chelours en communication avec une personne – ou un Pokémon – invisible à l’intérieur du bâtiment hoche la tête de manière affirmative et s’écarte pour nous libérer la place. Son compagnon lui jette un regard, puis d’une griffe nous fait signe de le suivre. A nouveau anxieux, Skull hésite un instant.

- Chelouuuurs !

L’injonction sonne comme un ordre. Malgré son air un peu déplacé à cause de son costard, le Chelours doit bien faire deux mètres de haut avec des griffes affutées comme des rasoirs. Ça me fait mal de l’avouer mais je me sens impressionné. Même mon pauvre dresseur sent la menace qui se cache derrière les lunettes de verre teinté du Pokémon immobile. Trop tard pour reculer. Nous entrons.

Je n’ai pas dit grand-chose sur l’apparence extérieure du building car il n’y a pas grand-chose à en dire. Bien que situé sur l’île, personne ne connaît la localisation exacte du quartier général du Syndicat. Ce n’est que grâce au message reçu ce matin que Skull a pu nous conduire jusqu’à la zone approximative de son emplacement. Et, s’il n’y avait pas eu les deux Chelours pour en garder l’entrée, jamais nous n’aurions pu le repérer dans la masse des autres bâtisses ignobles et biscornues qui germent, tels des champignons, partout où on trouve un peu d’espace respirable dans la cuvette du volcan. Mais, si aucun signe distinctif ne signale que l’endroit appartient à l’organisation criminelle la plus puissante au monde, l’intérieur, lui, le crie d’autant plus tant le contraste est saisissant pour celui qui, comme nous, s’y aventure pour la première fois.

Le Chelours qui nous guide avance d’un pas rapide et Skull et moi n’avons pas le temps de contempler la décoration stylisée et les meubles en bois précieux où sont exposés des objets rares reposant dans de somptueux écrins brodés de fils dorés. Une impressionnante collection de fossiles occupe tout un pan du mur et appelle le visiteur à y laisser dériver son regard. Dans la vitrine éclairée par de petites lampes, chaque pièce est accompagnée d’un petit carton décrivant la date et le lieu de découverte du fossile ainsi que le Pokémon préhistorique qu’il contient.

Au fond de la grande pièce, j’aperçois un large escalier à double hélice qui semble grimper jusqu’au ciel. Même les lustres aux lourds pendants de cristal disséminés à quelques mètres d’intervalles ne parviennent pas à jeter leur lumière jusqu’au plafond. Si on doit se taper tous les étages à pied on va être frais en arrivant devant le Syndicat…

Je remarque soudain qu’une porte dérobée vient de s’ouvrir devant nous. Nous nous y engouffrons, toujours à la suite du Chelours, pour déboucher sur un couloir éclairé par des chandeliers d’or et d’argent. Des plantes exotiques et rares égaillent le long passage. Ornant les murs, des portraits géants d’éminents membres du Syndicat des Team nous regardent passer dans un silence oppressant. Le plus grand des portraits représente un homme en costume sombre caressant un Persian niché sur son giron. Son sourire est narquois, son regard glacial. Le visage me dit vaguement quelque chose mais nous avançons trop vite pour que mes pensées puissent s’attarder sur la question.

Nous finissons par arriver devant une porte close aux battants de métal. Un scanner rétinien encastré dans le mur semble servir de clé. On ne lésine pas sur la sécurité des leaders au Syndicat des Team. De sa grosse main poilue le Chelours retire délicatement ses lunettes et révèle ses grands yeux d’un brun tendre. Un laser rouge vient scanner la pupille du Pokémon et la porte ne tarde pas à s’ouvrir révélant un ascenseur.

- Che-che-chelours ! rugit notre guide en pointant le petit habitacle de la griffe.

On va vraiment monter là-dedans ? Jusque-là, j’ai suivi Skull sans trop poser de question mais là, ça ne sent pas bon du tout. Et je ne dis pas seulement ça parce que mon dresseur pue la sueur ! Je ne sais pas quelle sanction le Syndicat des Team va infliger à Skull mais s’ils cherchent à le zigouiller à cause de mon combat contre le Tygnon je ne voudrais surtout pas qu’on pense que je vais le protéger si jamais les choses tournent au vinaigre.

- Bon… Allez… S’parti, fait mon dresseur sans conviction.

Une fois tous les trois dans le minuscule habitacle, le Chelours croise les pattes devant lui et semble se statufier tandis qu’une musique d’ambiance tente de nous faire patienter. Je jette un coup d’œil à Skull pour voir comment il s’en sort. Cette petite frappe est plus habituée à traiter avec les bouseux et autres ratés qui pullulent sur cette île, pas avec le raffinement du gratin du grand banditisme. A part quelques gouttes qui perlent de son front, mon dresseur ne semble pas afficher le moindre doute sur la situation.

Nous tournant le dos, je distingue parfaitement la nuque du Chelours qui dépasse du col de sa chemise. Ce n’est pas très malin. Un petit coup de manchette et le terrible Pokémon à la face d’ours rose se retrouverait hors d’état de nuire. J’ai peut-être surestimé les capacités des Pokémon d’élite du Syndicat...

Je sens quelque chose changer subtilement dans l’atmosphère déjà étouffante. Une aura meurtrière se dégage soudain du Chelours dont la grosse tête se décale à peine de côté. Je le sens qui m’observe du coin de l’œil, comme s’il avait déchiffré mes pensées. Malgré moi, je frissonne.

A Alola, la réputation des turbulents Chelours n’est plus à faire. Vivants la plupart du temps dans les coins les plus reculés des forêts, ces Pokémon font de sérieux dégâts lorsque la faim les pousse à se rendre dans les villes pour y subtiliser du miel. Mais, une fois dressés et grâce à leur physionomie particulièrement flexible, leur technique martiale est indubitablement l’une des meilleures que j’aie pu voir lors des tournois.

Or, ce Pokémon-là, c’est encore autre chose. Mon instinct me chuchote qu’il a été dressé dans un unique but : tuer. Pas étonnant que le Syndicat des Team utilise ce genre de monstre pour assurer la sureté du bâtiment. Je me rends compte, comme un coup de poing dans le pif (et j’adore mon nez, alors mesurez bien le poids de mes paroles), que c’est la première fois que je ne suis pas sûr de pouvoir battre un Pokémon en combat singulier.

Ça m’énerve de douter comme ça de mes capacités. Je sens une rage folle me ronger lentement le cerveau. Je sers les poings, tremblants. Du calme, mon grand. Du calme. Quand bien même tu serais capable d'aplatir ce machin-là, la sécurité du building doit être bien plus poussée que ce que tu ne peux imaginer. Inutile de mourir par seule vanité. Mais quand même... Malgré moi je ne peux empêcher mon cœur d’accélérer dans ma poitrine et le sang de se précipiter à l'intérieur de mes veines pour oxygéner mes muscles de plus en plus roides.

Le Chelours se décale un peu plus de côté. Sa tête est désormais directement tournée dans ma direction. Je sens la brûlure de ses yeux derrière ses lunettes noires me transpercer le corps.

- Euh ! Qu'est-ce que vous foutez, les mecs ? interroge Skull d'une voix lointaine. Très lointaine.

Je ne l'écoute pas. Toute mon attention est tournée vers le Chelours. Je sais que ce que je fais est idiot. Que je cours au suicide en le provoquant. Mais ça me démange. Ma vanité est plus forte que ma raison. Le sang bat trop fort dans mes tempes pour me permettre de réfléchir clairement. Je serre un peu plus les poings, gonfle au maximum ma poitrine ; tandis que mon adversaire relève lentement les babines pour me montrer ses crocs pointus. Les griffes de ses pattes s'allongent au ralenti, me laissant amplement le temps d'admirer à quel point elles sont longues et effilées. Je prends une dernière inspiration. L'espace confiné ne laisse pas le droit à l'erreur. Le combat sera rapide. Et mortel. Trois... Deux... Un..!

« DING ! DING ! DING ! »

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent inopinément, vomissant une lumière aveuglante qui occulte les traits du Chelours. Instinctivement, je recule d'un pas mais me cogne contre Skull qui me déséquilibre. Ce n’est pas vrai ! Je vais mourir parce que j’ai glissé !

- Miaaa... Que se passe-t-il donc, Nanoujka ? Tu fais peur à nos invités ? Ce n’est pas très poli de ta part, ma chère.

Le – ou plutôt la – Chelours se raidit d’un coup, toute trace de combativité disparue, et lance un regard penaud dans la direction approximative de la voix qui vient de la réprimander.

Eh ben alors Nanoujka, on se fait engueuler comme une petite Skitty par son maître ? Je suis à la fois soulagé et déçu d’avoir évité ce combat à l’issue incertaine contre cette femelle. Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai aucun scrupule à devoir taper sur une fille. Je ne suis pas sexiste. Mais les conditions de l’affrontement n’étaient clairement pas à mon avantage dans un espace aussi étroit. Je n’ai absolument pas eu peur, ok ?

- Entrez donc ! nous invite la voix anonyme dont l’accent me rappelle fortement celui de Kanto. Guz-miaaa, nous t’attendions avec impatience.
- Ouais m’sieur, répond Skull en s’avançant à pas prudents. Il parait que vous vouliez me voir.
Guzma… C’est bien la première fois que j’entends quelqu’un appeler mon dresseur par son vrai nom. Le Syndicat est bien renseigné.

Nous nous trouvons à présent dans une vaste pièce éclairée par un seul et puissant projecteur nous faisant face et empêche quiconque de distinguer les traits des hommes assis sur l’estrade, derrière la grande table en hémicycle qui se dresse dans la pénombre à quelques pas de là. Il fait une chaleur monstre ici et je devine sans trop de peine que nous nous trouvons sous terre, proches du cœur du volcan qui forme l’île.

J’écarquille les yeux dans l’espoir de mieux cerner ces hauts personnages qui nous observent dans l’ombre mais leurs visages me restent interdits. Je décompte un total de six silhouettes. Il pourrait y en avoir plus, cachées dans les ténèbres environnantes du bunker sous-terrain.

Nanoujka la Chelours réajuste silencieusement sa cravate et va se positionner derrière nous, près de l’entrée de l’ascenseur, bras croisés sur la poitrine. Je comprends mieux l’intérêt de porter des lunettes de soleil si elle passe ses journées face à un projecteur.

- Sais-tu pourquoi le Syndicat t’a convoqué, Guz-miaaa ?

La voix provient de la personne la plus éloignée de nous, celle qui se trouve au milieu du demi-cercle que forment les barons du Syndicat des Team. En forçant un peu, j’arrive à apercevoir un grand R rouge orner le dossier du fauteuil dans lequel il est assis. La silhouette paraît minuscule par rapport aux cinq autres, la tête dépassant à peine de la table. Ce serait ce nabot le grand méchant Grahyèna ? Le leader suprême du Syndicat des Team ? J’avoue que je suis un peu surpris et d’autant plus curieux de découvrir à quoi ressemble ce mystérieux personnage qui tire les ficelles de la criminalité mondiale depuis toutes ces années.

- Je suppose que vous allez me menacer pour avoir battu votre Tygnon l’autre jour et me racketter mon P’mon ? Vous savez j’ai travaillé dur pour en avoir un aussi puissant. Woush, si vous croyez que je vais le lâcher comme ça sans compensation, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Après si vous avez quelques montagnes de Pokédollar à proposer, je peux au moins vous accorder le loisir d’en discuter.

Je savais bien que Skull n’était pas malin, mais de là à faire le clown face aux prélats du crime... Je ne m’y attendais pas.

- Miaaa… Je vois que nous avons ici quelqu’un de direct et de dur en affaires. Que pourrions-nous t’offrir d’autre, Guz-miaaa, qui pourrait satisfaire ton ambition ?
- Je peux demander ce que j’veux ? demande Skull dont la voix trahit son avidité.
- Tout ce que le Syndicat des Team est en capacité de t’offrir, oui. C’est-à-dire à peu près tout.

Je suis étonné par la proposition du Syndicat. J’aurais plutôt pensé qu’ils allaient se contenter de tuer Skull puis de s’emparer de moi sans autre forme de procès. Ou alors le mystérieux Parrain du crime s’amuse avec la cupidité de Skull et mon dresseur est déjà condamné ? Je n’ai pas le temps d’y réfléchir plus avant car mon attention est détournée quand, quelque part, très loin, j’entends un son étouffé. Je regarde en arrière pour voir si Nanoujka à elle aussi entendu ce bruit mais, si c’est le cas, la Chelours n’en montre pas le moindre signe.

- Ce que j’veux, répète Skull dans un murmure puis plus fort : ce que j’veux c’est que vous me filiez le contrôle de votre organisation minable ! Et j’espère pour vous que ça sera fait à l’amiable. J’en ai marre d’jouer les p’tites frappes sur cette île pourave. J’veux mettre l’zarba et qu’les gens me craignent grave ! J’veux créer ma propre Team, me venger de ceux qui m’ont chassé d’ma région ! De cette armée que vous possédez, je ferai une impitoyable légion. A toute cette clique de Capitaines d’Epreuves à la noix je prouverai ma valeur. Et surtout… je veux satisfaire la dame qui rythme les battements de mon cœur.

Un silence angoissant résonne sourdement dans la pièce. Mes neurones n’arrivent pas à interpréter ce que je viens d’entendre. Un slam !? Est-ce que Skull cherche à se suicider en piétinant de la manière la plus inélégante qui soit la petite chance de survie que lui offrait le Syndicat des Team ?

Le silence semble s’étirer indéfiniment, juste brisé par le bruit de fond que je semble le seul à remarquer. Soudain, le chef du Syndicat émet un son particulièrement rythmé que j’ai du mal à identifier avant de me rendre compte qu’il s’agit d’un rire.

- Mia-mia-mia-mia-mia !!! Mia-mia-mia-mia-mia !!! Mia-mia-mia-mia-mia !!! Mia-mia-mia-mia-mia !!!

Peu à peu, les autres silhouettes de l’organisation laissent éclater leur hilarité.

- Eh, vous entendez ça ? L'moussaillon veut devenir un Team Leader ? AHAHAH !!!
- Peuh ! Vous avez vu sa façon de se tenir ? Comment un être aussi laid pourrait-il se mettre à la tête de notre Syndicat des Team ?
- Comme si nous avions le temps d’écouter de telles futilités. Je ne comprends pas pourquoi nous ne laissons pas un de nos sous-fifres régler cette histoire.
- C’est une blague ? Grâce à ma machine qui permet de contrôler les Pokémon nous pourrions nous emparer du sien sans même avoir à marchander si nous le souhaitons, n’est-ce pas mon cher Hélio ?
- … … …
- Mia-mia-mia-mia-mia-mia !!! Tu as de l’humour. Mia-mia-mia-mia-mia-mia !!! Donne-moi une seule bonne raison d’accepter plutôt que de te jouer un mauvais tour en m’emparant tout simplement de ton Pokémon !

Ok, la bonne nouvelle c’est que le Syndicat ne semble pas très enclin à vouloir me tuer. Je m’en doutais un peu car – sans trop me vanter – je vaux mon pesant d’or. Je suis donc bien plus intéressant, lucrativement, vivant que mort. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent à cet imbécile de Skull, après tout je m’en fous.

La mauvaise nouvelle c’est que je ne suis pas certain de vouloir devenir la marionnette de cette organisation de l’ombre. Cela fait sept ans que je participe à leur Ligue Clandestine avec pour seule seule règle de vaincre ou mourir. Ça me fait mal de l’avouer mais un jour, je le sais, je tomberai sur un Pokémon plus jeune, plus souple, plus résistant que moi et j’y laisserai ma peau. Or, j’ai un destin à accomplir ! On m’a refusé la victoire contre le Maître de Hoenn puis le sort a décidé de m’exiler loin d’Alola et de ses Doyens. Pas question que je finisse mes jours face contre terre pendant que mon sang se répand sur le pourtour d’un ring miteux d’une arène de combat illégale !

- Vous voulez une bonne raison ? s’écrie Skull que la subite colère semble faire oublier qu’il se trouve entouré par un ennemi qui n’hésitera à l’anéantir. J’vais vous la donner : vous êtes tombés dans mon piège, et vous allez bientôt l’constater !

Le bruit que j’entends depuis un moment se fait plus fort. Cette fois les autres le perçoivent aussi. Le sourire sardonique de Skull semble indiquer qu’il sait de quoi il s’agit.

- Qu’as-tu fait, Guz-miaaa ? Tu nous as dénoncés à la police ? Mia-mia-mia-mia-mia !!! Mais nous possédons la police ! Ces nigaudes d’agents Jenny et Cailloux ne se doutent de rien bien sûr, mia-mia-mia-mia !!!
- J’ai une tête de Rattata, p’t’être ? Ce que vous entendez c’est ma propre cavalerie. Ça fait sept piges qu’on attendait l’occaz’ de pénétrer enfin dans votre repaire secret afin de vous régler votre compte. On a une balise GPS implantée sur le bon vieux Ahou qui leur indique exactement où nous sommes. Toute vot’sécu de pointe là, elle sert à rien si on passe directement par l’cœur du volcan.

Hein ? On peut rembobiner deux minutes ? « Une balise GPS implantée sur le bon vieux Ahou ? » Depuis quand ? Qui ? Comment ? Plus j’essaye de comprendre moins les choses font sens. Je ne reconnais plus Skull. Où est ce dresseur minable qui passe ses journées à jouer au casino et organise des combats clandestins ? Un GPS ? On nage en plein délire ! Je suis perdu. Tout va beaucoup trop vite.

Et si cela ne suffisait pas, le projecteur qui nous aveuglait explose soudainement dans un fracas de verre brisé et laisse un trou béant dans le plafond par lequel commence à s’écouler de la lave en fusion. La lumière générée par ce magma fumant éclaire de manière moins agressive la pièce et révèle au grand jour les visages médusés des membres du Syndicat des Team.

J’ai encore un choc lorsque je découvre que l’interlocuteur de Skull, le terrible leader du Syndicat, n’est autre qu’un… Miaouss !

- Guz-miaaa ! Rends-toi tant qu’il est encore temps, ou ce sera la guerre ! Miaouss, oui, la guerre ! hurle le petit félin affolé en pointant une griffe sur moi et Skull.

Puis des câbles noirs se mettent à pleuvoir dans la salle et des hommes et femmes en combinaison blanche d’isolation extrême se mettent à descendre du plafond. Je ne comprends toujours rien aux évènements. Des sbires du Syndicat des Team apparaissent comme par enchantement et de violents combats Pokémon s’engagent contre les intrus.

Je vois Skull se diriger d’un air triomphant en direction du Miaouss dont le pelage beige clair indique qu’il n’est pas natif de ma région.

- Eh, Ahou. Qu’est-ce que tu dirais d’une descente de lit pour ta chambre ? m’interpelle mon dresseur.
- Miaaa… Attendez, attendez, je suis sûr qu’on peut trouver un arrangement ! Que dirais-tu de devenir mon bras droit, Guz-miaaa ?
- L’est trop tard pour ça, cousin.

Je plisse les yeux. Je n’aime pas l’allure que prend cette histoire. On s’est servi de moi à mon insu. Qui a pu faire ça ? Pourquoi moi ? Je pourrais trouver la réponse en observant un peu mieux le logo « Æ » qu’arborent les rigolos en combinaison blanche qui ont fait irruption dans la salle mais la colère obscurcit mon jugement.

Mes mains brûlent de briser quelque chose. N’importe qui ! N’importe quoi ! On m’a pris pour un abruti et je ne supporte pas ça. Alors il va falloir assumer maintenant. Regardez-moi. REGARDEZ-MOI BIEN ! Je me fiche royalement des conséquences mais les responsables me le paieront.

Je braque mon regard sur Skull. Il savait pour le GPS, c’est donc qu’il est en partie impliqué dans cette affaire. Je m’avance vers lui, bien décidé à lui faire cracher le morceau avant de lui faire la peau. Complètement paniqué, le Miaouss ne remarque pas mon subit changement de direction. Il tremble de tous ses membres pendant que ses sbires sont trop occupés à se défendre contre les mystérieux envahisseurs. Finalement, à bout de nerfs, le Pokémon à la tête de l’organisation la plus puissante au monde hurle de peur :

- NANOUJKA, AIDE-MIAAAAAA !

Il y a comme un tremblement de terre dans mon dos. J’ai à peine le temps de me tourner que l’ombre d’une patte aux griffes immenses s’abat sur mon visage.

La Chelours tueuse psychopathe a décidé de me faire la peau.

Chouette.
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