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Lecture du chapitre 11 | |
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Nom de l'œuvre : Tales Of Darkness | Nom du chapitre : Lady Lyune "A" Virgin |
Écrit par Kazumi | Chapitre publié le : 20/4/2006 à 22:58 |
Œuvre lue 41011 fois | Dernière édition le : 23/4/2006 à 17:12 |
Lysa ouvrit un Å“il, puis deux. À ses yeux, ce simple geste aurait mérité de figurer dans le Livre des Records, catégorie « effort surhumain ». Sa tête lui semblait terriblement lourde. Scotchée au sol comme si elle pesait soudain une tonne. Son corps tout entier lui semblait peser le poids d´un dragon alors qu´elle se redressait avec lenteur. Elle se trouvait dans un vaste champ d´herbe humide de rosée matinale. À côté d´elle, Chester, vêtu de son habituel costume, toujours aussi grotesque, s´activait à entretenir un feu crépitant sur lequel il faisait griller des brochettes. Une écÅ“urante odeur sucrée montait des flammes et Lysa s´aperçut qu´il faisait griller des marshmallows. Les petits carrés de pâte sucrée ressemblaient à de grosses verrues sur le point d´éclater. â€" Tu as passé une bonne nuit ? demanda Chester avec un sourire goguenard. â€" La meilleure de ma vie, grogna Lysa en repensant aux monstres, au dragon et aux sangsues. En examinant ses bras et jambes marqués de cicatrices, Lysa dut reconnaître avec amertume que la nuit passée l´avait laissée dans un triste état. Sa main droite portait encore la marque de la morsure que lui avait infligée le dragon. Partout sur son corps, là où les sangsues l´avaient mordue, de grosses marques boursouflées et saignantes ornaient sa peau. Ses vêtements étaient réduits à l´état de loques informes qui tombaient lamentablement sur ses membres. Dans un élan de générosité suspecte, Chester lui avait prêté une cape blanche à rayures décorée d´ours en peluche qui ressemblait à un pyjama d´enfant. Le geste partait d´une bonne intention mais Lysa se sentait quand même passablement ridicule. Elle supposait que l´offre de Chester partait plus d´une envie de se débarrasser de cette horreur que d´un sincère désir de lui rendre service. Ses blessures n´étaient pourtant pas l´aspect le plus inquiétant de la situation. Le plus grave restait sans doute la perte de ses affaires, des provisions aux vêtements en passant par sa boussole et sa carte. En sortant de la forêt, Chester avait consenti à faire un détour pour rejoindre la clairière où Lysa avait installé son campement en début de soirée. Elle avait dû se rendre à l´évidence : aucun des objets étalés sur le sol, pillés, écrabouillés, ou détruits, n´était en mesure de lui servir. Lysa avait sentit un sentiment de panique s´ajouter à sa douleur : sans boussole, ni carte, ni provisions, ses chances de survie à Sylvarant étaient réduites à zéro. Alors qu´elle songeait à ses provisions disparues, l´estomac de Lysa se mit à gargouiller bruyamment. Elle mourait de faim. Surmontant sa répulsion, Lysa s´empara d´une brochette et mordit prudemment l´une des guimauves brûlantes. Une croûte de caramel s´était formée sur le marshmallow et celui-ci n´avait plus vraiment le goût de guimauve. Elle aurait préféré un petit-déjeuner plus substantiel après cette nuit éprouvante, mais, visiblement, les connaissances de Chester en matière de gastronomie semblaient très limitées. Lysa ne savait pas comment elle était parvenue à sortir de la forêt et ne tenait pas vraiment à le savoir. Sans doute avec l´aide de Chester. Elle était plus ou moins capable de résumer ce qui s´était passé durant la nuit et comment Chester avait pu la sauver. Alors que les deux adolescents suivaient le chemin pour sortir de la forêt, le gamin lui avait expliqué qu´il faisait, selon ses propres termes, « une petite promenade nocturne », lorsqu´il avait remarqué ses lames de coude gisant au pied d´un arbre. Il les avait récupérées et avait suivi les traces de pas du dragon jusqu´à la petite mare où il avait trouvée la Demi-Elfe aux prises avec le monstre. Il était parvenu à la sauver en « usant d´un sort élémentaire » (« Elémentaire, tu parles », avait pensé Lysa) qui avait ficelé le dragon avec des lianes. Chester l´avait ensuite soignée avec un sortilège curatif (« toujours élémentaire, bien évidemment ») et ils avaient quitté la forêt ensemble. Lysa, à demi assommée par la douleur et la fatigue, avait établi le campement dans un champ et s´y était endormie aussitôt. Tout un grignotant sa brochette du bout des dents, Lysa observa Chester à la dérobée. Qu´un gamin d´à peine huit ans puisse maîtriser un sort aussi complexe que le Cercle de Soin la laissait bouche bée. D´autant plus qu´il n´utilisait pas d´exsphère. Mais sa surprise n´était rien comparée à celle éprouvée lorsqu´elle avait vu le sortilège des « Lianes Tranchantes » (Chester l´appelait ainsi). Lysa n´avait jamais entendu parler d´un tel sortilège. Et pour cause. Personne ne pouvait maîtriser les forces de la nature, qu´il s´agisse des arbres, des fleurs, ou de n´importe quel type de végétaux. Même les Demi-Elfes ne s´y étaient pas risqués. Pendant plusieurs siècles, on avait tenté de faire pousser des fleurs par la magie, des fraises en plein hiver, des plantes tropicales dans la neige. Personne n´y était parvenu. On ne pouvait contrà ler la nature et nul ne savait pourquoi. D´aucuns prétendaient qu´il s´agissait d´un problème lié à un esprit originel. Il n´y a pas d´esprit originel pour les plantes, disait-on, donc on ne peut pas les contrà ler par la magie, comme le feu, le vent ou la glace. Si un esprit originel lié à la nature existait, les choses seraient différentes, prétendaient-ils. On pourrait alors transformer de simples bourgeons en chênes gigantesques en quelques secondes, ou faire pousser un parterre de fleurs colorées sur une chape de glace. Les fanatiques de l´Eglise de Martel affirmaient que la volonté de la déesse s´exprimait à travers cette incapacité à maîtriser cette branche de la nature. Il s´agissait d´un commandement divin qu´il ne fallait surtout pas contrarier. Par conséquent, il fallait interdire toute expérience sur le sujet, voire renommer « Magie Interdite » ce type de sorcellerie imaginaire que personne ne maîtrisait, et infliger de sévères punitions à quiconque en parlait. On avait suivit les préceptes de l´Eglise, et le sujet était devenu tabou. Aussi Lysa se demandait comment Chester pouvait-il contrà ler ces énormes lianes avec une apparente facilité. Les expériences sur la Magie Interdite avaient-elles été poursuivies ?… Tout en triturant une guimauve tiède, Lysa se demandait vaguement si l´arme de Chester, son bâton en bois crème, avait un quelconque rapport avec ses pouvoirs. Il y avait des feuilles formant des ailes encadrant une auréole verte au bout du bâton. C´était peut-être un signe. Elle allait tendre le bras pour s´en emparer lorsqu´un grognement la fit sursauter. Lysa se retourna avec une expression proche de celle de quelqu´un qui vient de recevoir un troll dans la figure. Le vélocidragon qui l´avait attaquée la nuit dernière, celui qui avait réduit en bouillie l´intégralité de ses affaires, se tenait devant elle, la gueule muselée par une grosse liane reliée à un arbre, une expression alléchée dans le regard. Sa longue queue fouettait l´air tandis qu´il remuait l´arrière-train. Lysa fit un bond de plusieurs mètres en arrière. â€" Qu´est-ce que cet horrible monstre fout ici ?! hurla-t-elle, les yeux agrandis par la terreur. Chester prit une expression indigné. Il s´approcha du dragon et lui tapota la tête avec douceur. â€" Ne t´en fais, mon trésor, elle ne le pensait pas vraiment, souffla-t-il à l´oreille du monstre en serrant sa grosse tête dans ses bras menus. â€" Bien sûr que si, je le pense ! répliqua Lysa d´un air furieux. Pourquoi as-tu ramené ce… cette horreur ici ? De nouveau, Chester prit l´expression à la fois sévère et choquée d´une épouse qui vient d´entendre son mari lui dire que sa nouvelle robe ressemblait à un sac de patates décoré de froufrous. â€" Ce n´est pas une horreur, affirma-t-il plaintivement. C´est Calinà t Junior. â€" Cali quoi ? s´étrangla Lysa, essayant de se persuader qu´elle avait mal entendu. â€" Calinà t Junior, pontifia Chester d´un air très sérieux. Lysa se massa les tempes, réfléchissant à un moyen d´aborder le problème calmement. â€" Chester, dit-elle d´un ton posé, ne me dis pas que tu as adopté ce mons… Enfin, ce dragon ?… Chester eut un sourire rayonnant. « Calinà t Junior » gronda légèrement en agitant des pattes avant munies de griffes dont la longueur devait faire deux fois celle des doigts de Lysa. â€" Bien sûr que si, répondit Chester en caressant la gueule reptilienne de son protégé qui essaya de lui mordre la main malgré la muselière. Lysa resta plusieurs minutes immobile, le temps que son cerveau imprime l´information qui venait de lui être envoyée. Au prix d´un immense effort, elle parvint à scotcher un sourire aimable sur son visage. Elle décida d´ignorer le nouvel animal de compagnie de Chester et se porta même volontaire pour faire griller de nouveaux marshmallows. De toute façon, que ce gamin soit assez timbré pour s´enticher d´un dragon qui le boufferait sans doute dans son sommeil ne la regardait pas. Lysa n´avait pas l´intention de voyager avec Chester. Elle y avait pensé, bien sûr, étant donné que « Calinà t Junior » avait détruit son équipement, tandis que celui de Chester â€"en particulier sa carte et sa boussoleâ€" était intact. À présent, elle réalisait combien il était stupide de faire route avec un gosse de huit ans nanti de pouvoirs bizarres et d´un vélocidragon féroce comme compagnon de voyage. De plus, elle n´avait pas besoin de lui… Lysa fouilla quelques minutes dans le sac de Chester â€"il était rempli à ras bord de bonbonsâ€" et en ressortit deux paquets de guimauves colorées qu´elle lui agita sous le nez. â€" Tu préfères parfum banane ou citron ? Lysa jubilait. Bien que n´exerçant plus ses talents de voleuse depuis qu´elle était à Sylvarant, elle n´avait toutefois pas perdu la main. Il lui avait été facile de dérober la carte et la boussole de Chester alors qu´elle fouillait dans son sac pour y chercher un paquet de guimauves. Elle lui avait même piqué une petite bourse en cuir qui abritait quelques pièces d´or (2500 Flouz, environ) et une gourde pleine d´eau fraîche. Lorsqu´elle avait demandé à Chester où comptait-il aller, celui-ci avait répondu de manière évasive. â€" Je ne sais pas vraiment, avait-il avoué en haussant les épaules. Lysa en avait lâché la brochette qu´elle tenait à la main. â€" Tu plaisantes ? s´était-elle exclamée, estomaquée. Tu prends des risques insensés pour passer à Sylvarant et tu ne sais même pas où aller ? â€" Pas vraiment, avait répondu Chester, sur la défensive. Lysa, voyant qu´il se renfrognait, n´avait pas insisté. En tournant entre ses doigts la jolie boussole en or de Chester qui avait dû coûter une fortune, Lysa fut étreinte par un bref sentiment de culpabilité. Elle le chassa bien vite en pensant qu´il pourrait toujours voyager sur le dos de son dragon, si jamais il était fatigué à force de tourner en rond parce qu´il n´avait pas de boussole… Lysa se mordit les lèvres et continua à marcher, les yeux rivés sur la carte et la boussole en essayant d´oublier qu´elles avaient été volées à un gamin naïf. Elle voulait rejoindre Isélia le plus vite possible. L´incident avec le vélocidragon l´avait sérieusement ébranlée : elle avait résolument besoin d´une exsphère. Par chance, elle gardait toujours les exsphères qu´elle avait récupérées à la mine de Toïze ainsi que son serti-rune volé dans une petite bourse accrochée à ses lames de coude. C´était l´un des rares objets qu´elle n´avait pas perdu. La bourse de cuir se balançait maintenant à sa ceinture. Lysa la serra brièvement entre ses doigts, pour se rassurer. Sans la précieuse petite pierre, elle serait indéfiniment soumise aux problèmes qui découlaient de rencontres avec des monstres. Obligée de fuir devant n´importe quelle créature dangereuse. Lysa était bonne en combat, mais les monstres de Sylvarant, c´était du solide. Et puis, une fois qu´elle aurait son exsphère, elle pourrait enfin se consacrer à … Lysa secoua vivement la tête comme pour chasser des mouches venues l´importuner. Chaque chose en son temps. Et un temps pour chaque chose. Au bout d´une journée de marche sous un soleil radieux, Lysa arriva exténuée mais ravie à une maison du Salut aménagée dans un ancien moulin. On voyait encore l´hélice accrochée au toit qui tournait mollement sous la brise du soir. Une délicieuse odeur montait de la cheminée et le ventre de Lysa se mit à émettre le bruit d´une baignoire qui se vide. Les quelques guimauves qu´elle avait mangées avaient été digérées depuis longtemps. Elle s´élança vers la maison du Salut, pénétra à l´intérieur et demanda au comptoir si elle pouvait louer une chambre pour la nuit. Le prêtre qui semblait être le maître des lieux lui répondit par l´affirmative. Lysa monta à l´étage où une petite chambre propre et dépouillée l´attendait. Un lit surmonté d´une grosse couette blanche était calé dans un coin de la pièce. Sur le sol, un tapis fané accueillit sa cape ridicule qu´elle laissa tomber à terre. Elle nettoya rapidement son visage avec l´eau contenue dans un broc posé sur la table de nuit. Lysa contempla ses vêtements sales et déchirés en se demandant vaguement si elle pourrait les nettoyer avant Palmacosta. En jetant un coup d´œil par la fenêtre, Lysa repéra un lavoir construit un peu à l´écart de la maison du Salut. Un pèlerin y nettoyait sa cape en la frottant avec du savon. Le regard de Lysa s´alluma. Elle retira son pantalon et son haut, s´enveloppa dans une large robe en pilou qu´elle avait trouvée près du lit et descendit au rez-de-chaussée. Elle quitta la maison et se dirigea vers le lavoir. Lysa jeta ses vêtements usés dans l´eau, s´empara d´un gros pain de savon jaunâtre posé sur le rebord du lavoir, et se mit à nettoyer ses fringues vigoureusement, plus par envie de s´occuper les doigts que par réel besoin. Ses vêtements, transformés en bouts de tissu sale par les bons soins du dragon, étaient irrécupérables, elle en avait conscience. Elle tâcha toutefois de les laver du mieux qu´elle put, frottant avec le savon qui produisait une mousse à l´odeur douceâtre. Une fois son travail achevé, Lysa replia ses vêtements humides et quitta le lavoir. Tandis qu´elle s´avançait vers la maison du Salut, Lysa songea à Chester. Elle se demandait qu´elle avait été la réaction du gamin lorsqu´il s´était aperçu de la disparition de ses biens, s´il s´en était aperçu. Elle se demanda aussi s´il l´avait soupçonnée, et s´il avait rencontré des voyageurs susceptibles de l´aider. Une bourrasque soudaine emporta les vêtements qu´elle tenait à la main, arrachant Lysa à ses pensées. Elle se baissa pour les ramasser. Alors qu´elle frottait la poussière qui s´était accumulée sur ses fringues en pestant, Lysa sentit quelque chose s´enrouler autour de sa cheville. Elle s´arrêta net, fronça les sourcils, et baissa les yeux. « Oh non », pensa-t-elle en blêmissant. â€" Aaaaaaah ! Il y eut un éclair de lumière, un nuage de poussière s´envola du sol et Lysa se retrouva suspendue en l´air par la cheville. Une grosse liane verte la maintenait au-dessus du sol, tête en bas, ses cheveux frà lant l´herbe. Elle poussa un cri et tenta de se débattre, mais la liane, semblable à un serpent jailli de la terre, resta fermement enroulée autour de sa cheville. Un pied d´enfant dans un petit chausson de feutre apparut sous son nez. Lysa poussa un cri inarticulé de rage. â€" POSE-MOI PAR TERRE IMMÉDIATEMENT ! hurla-t-elle, furieuse. â€" Alors rends-moi mes affaires, répliqua calmement Chester. En guise de réponse, Lysa l´enjoignit dans des termes plus ou moins crus d´aller se faire mettre. Profond. Elle regretta aussitôt ses paroles. La liane se mit alors à la secouer de haut en bas, comme on secoue un shaker pour mélanger un cocktail, avec une telle force que Lysa se crut sur le point de vomir. Lorsqu´elle s´arrêta, un long filet blanchâtre qui avait coulé de son menton jusqu´à son front zébrait son visage. Lysa tenta de reprendre son souffle et jeta un coup d´œil vers la maison du Salut. Chester l´observait toujours avec un intérêt clinique. Dans sa main droite, il tenait une longue lanière verte à laquelle était attaché Calinà t Junior. Celui-ci grognait, suppliant son maître du regard de lui accorder Lysa en guise de dîner. Visiblement, Chester avait remarqué tout de suite la disparition de ses biens lorsque Lysa les lui avait volés et avait entreprit de la suivre jusqu´ici pour les récupérer. À nouveau, le regard de Lysa se tourna vers la maison du Salut. Elle sourit courageusement, malgré le sang qui lui cognait les tempes. â€" Et si on en discutait autour d´un verre ? Lord Magnius versa dans un verre à pied une généreuse dose d´un vin couleur grenat. Il inclina ensuite la bouteille au-dessus du verre de Lady Lyune qui refusa d´un geste poli. â€" Je ne bois pas, expliqua-t-elle devant l´air surpris de Magnius. Je préférerais de l´eau, si ça ne vous ennuie pas. Lord Magnius haussa ses larges épaules et se versa lui-même un verre de vin qu´il but d´un trait. Un soldat Désian apporta un verre d´eau glacée à Lady Lyune qu´elle but à petites gorgées, les yeux toujours rivés sur Lord Magnius qui se léchait les lèvres sans retenue. Elle reposa son verre sur la table circulaire et croisa ses longues jambes. â€" Lord Magnius, commença Lady Lyune d´une voix plus douce qu´un murmure, je pense que vous me devez des explications. L´intéressé ne répondit pas, se contentant d´afficher une expression à la fois nerveuse et contrariée. â€" Je serais curieuse de connaître la raison pour laquelle deux Cardinaux Désians qui se trouvent bien en-dehors des limites de leur juridiction sont présents avec nous ce soir, poursuivit-elle. â€" J´estime que nous n´avons pas à justifier chacun de nos déplacements, répliqua une voix acerbe. C´était Lord Kvar qui avait parlé. Il était assis à la droite de Lord Magnius. Son visage d´un blanc fardé se tordait en une expression où se mêlaient la haine et le mépris. Sa main gantée était crispée sur son verre de vin qui paraissait sur le point de se briser. â€" Nous sommes bien assez grands pour nous promener touts seuls, renchérit Lord Rodyle avec un ricanement servile. Ses petits yeux méchants étaient fixés sur Lady Lyune qui faisait nonchalamment tourner son verre d´eau entre ses longs doigts fins. Les trois Cardinaux Désians et la Grande Inspectrice étaient installés dans la salle de réunion de la ferme humaine de l´Est, actuellement sous les ordres de Lord Magnius. C´était une pièce aux dimensions colossales, pauvrement meublée d´une table ronde et de quatre fauteuils, ce qui offrait une impression de vide vaguement dérangeante. À travers une fenêtre unique, on pouvait apercevoir une lune glauque flanquée d´étoiles qui scintillaient faiblement sur fond noir. Des tableaux sanguinolents étaient accrochés aux murs. Sur la table, une bouteille d´un excellent bordeaux aux trois quarts vide voisinait avec quatre verres en cristal. Il régnait dans la pièce une chaleur étouffante. Lady Lyune était assise très droite dans un fauteuil en cuir trop dur, les jambes croisés, son joli visage figé en une expression à la fois calme et satisfaite. Son épée était calée contre son fauteuil. Lord Kvar et Lord Rodyle encadraient Lord Magnius. Chacun des Cardinaux affichait les stigmates d´un stress croissant et semblait lutter pour ne pas le montrer. Sans prêter attention à leurs interventions, Lady Lyune s´adressa directement à Lord Magnius : â€" C´est vous qui les avez fait venir ici ? Lord Magnius, plus doué sur un terrain de combat qu´en face d´une jeune fille d´une intelligence bien supérieure à la sienne, se contenta de bafouiller de façon inaudible. â€" C´est nous qui avons pris rendez-vous avec lui, trancha Lord Kvar. Et je peux vous garantir que deux cent kilomètres en convoi sous une pluie battante ne représentent pas une partie de plaisir… â€" Bien sûr, fit Lady Lyune avec un petit sourire. Mais, dans ce cas, pourquoi vous êtes-vous déplacés ? À présent, il régnait dans la pièce une tension extrême. Magnius changeait de position sur son fauteuil toutes les cinq secondes, l´air très mal à l´aise. Rodyle regardait tour à tour Kvar et Lady Lyune, attendant visiblement de voir qui sortirait vainqueur de la joute pour choisir son camp. Seuls Lord Kvar et Lady Lyune affichaient un calme apparent, se jaugeant du regard de part et d´autre de la table. â€" Nous avons un projet en commun, dit Kvar d´un air important. Ce projet est d´une telle envergure qu´il nécessite de nombreuses réunions entre les différents participants. C´est la raison pour laquelle nous sommes ici ce soir. â€" Je vois, répondit Lady Lyune, affichant toujours le même sourire tranquille. Elle rejeta la tête en arrière, faisant jouer sa superbe chevelure brune aux reflets rougeoyants, puis lança : â€" Vous voulez parler du canon à mana ? Lord Magnius recracha la moitié de son vin sur la table et Lord Rodyle redressa aussitôt son visage chafouin comme un rat émergeant de son terrier. Même Kvar eut du mal à ne pas avoir l´air surpris. Rodyle balbutia, blême : â€" Comment… Comment est-ce que vous savez que… â€" Oh, j´en ai vaguement entendu parler, répondit Lyune en balayant des miettes imaginaires sur sa jupe. Seul un homme d´expérience tel que Kvar pouvait voir qu´elle mentait. Il se demandait simplement où et comment cette petite garce avait pu dégotter pareille information. â€" Je doute fortement que vous en ayez « entendu parler », ricana Lord Rodyle. C´est un projet très secret. â€" Tellement secret que même Lord Yggdrasill n´est pas au courant ! lança Magnius d´un air presque joyeux. Kvar et Rodyle le fusillèrent du regard. Magnius pâlit sous son hâle rosé provoqué par l´alcool. â€" Ah, vraiment ? murmura Lyune. Les trois Cardinaux Désians se figèrent. Ils étaient suspendus à ses lèvres, appréhendant la suite. â€" Donc, souffla Lady Lyune de sa voix mélodieuse, vous reconnaissez avoir caché des informations à Lord Yggdrasill… ? Elle les observa tour à tour, Magnius, dont le visage congestionné et rougi était crispé dans une expression douloureuse, Rodyle, qui tripotait nerveusement les pans de son grand manteau, et Kvar, qui, contre toute attente, souriait calmement. Il caressait machinalement le pied de son verre vide. â€" Et vous ? lança-t-il brusquement. â€" Moi ? fit Lady Lyune, l´air à la fois innocent et amusé. â€" Oui, vous. Vous osez affirmer ne rien cacher à Lord Yggdrasill ? Lady Lyune eut un sourire chargé de tristesse que les Cardinaux Désians ne remarquèrent pas. â€" Dans ma position, répondit-elle, il m´est difficile de cacher quoi que ce soit à Lord Yggdrasill. â€" Peut-être, répliqua Kvar qui reprenait le dessus, mais pourtant… â€" Pourtant ? dit Lady Lyune en se redressant légèrement. Elle avait perdu son sourire amusé et sa voix était passé du mielleux au glacial. Rodyle regardait Kvar d´un air obséquieux et avide. De toute évidence, il était ravi que la situation se retourne en leur faveur sans qu´il n´aie eu besoin d´intervenir. Magnius, satisfait de voir Kvar rattraper ses propres erreurs, s´étala complaisamment sur son fauteuil en croisant les bras sur sa nuque. â€" Poursuivez, ordonna Lady Lyune d´une voix ferme. â€" Vous avez beau affirmer qu´il vous est impossible de cacher des choses sur votre compte à Lord Yggdrasill, souffla Lord Kvar, et cependant… Lady Lyune passa brièvement la main sur la garde de son épée calée contre le fauteuil. â€" Cependant, acheva Lord Kvar d´un ton triomphal, vous n´hésitez pas à contrà ler et diriger les Cardinaux Désians sous un faux nom depuis près d´un an ! Cette fois, ce fut Rodyle qui s´étrangla avec son vin tandis que Magnius se relevait d´un bond en frà lant la table au passage. Les verres tanguèrent dangereusement et la bouteille de vin s´éclata sur le sol. Personne n´y prêta attention. Kvar, visiblement très satisfait de lui-même, posa les bras sur les accoudoirs de son fauteuil et afficha un rictus méprisant. L´expression de Lyune était indéchiffrable. Elle regardait Lord Kvar comme si elle le voyait pour la première fois. Elle semblait calme mais elle agrippa la garde de son épée si fort que ses jointures blanchirent. Si la révélation de Kvar avait impressionné Lord Magnius et Lord Rodyle, ce qui suivit les cloua littéralement sur place. â€" C´est exact, dit Lady Lyune d´un ton calme. Kvar en laissa tomber son verre. â€" Virgin n´est pas mon vrai nom et je n´en ai jamais fait mystère, poursuivit-elle d´une voix douce. Il y eut un long silence, à peine troublé par le glouglou de la bouteille de vin qui se vidait de son contenu sur le sol. â€" Cependant… souffla-t-elle â€"et, tout en parlant, elle glissait une mèche de cheveux derrière son oreille d´un geste délicatâ€", je doute que la fait que je m´affiche sous un faux nom puisse porter atteinte à la vie de Lord Yggdrasill… Magnius baissa les yeux sur son verre vide tandis que Kvar se reculait sur son siège. â€" Par contre, â€"sa voix prenait des intonations glaciales alors qu´elle élevait le tonâ€", si le canon à mana est effectivement une arme, il convient de savoir à quel usage est-il destiné, vous ne croyez pas ? Les trois Cardinaux Désians jugèrent plus prudent de ne pas répondre. Lady Lyune leur adressa un sourire patelin. Lord Kvar se leva brusquement en repoussant le fauteuil en arrière. Sans même saluer Magnius et Rodyle, il quitta la pièce. Lady Lyune le regarda s´éloigner. Avant de franchir la porte, Lord Kvar se retourna, la main sur le bouton de la porte. â€" Lady Lyune Virgin, lança Kvar en insistant lourdement sur le dernier mot, à votre place, je ne prendrais pas trop mes aises ici. Lady Lyune haussa un sourcil, l´air dédaigneux. â€" Qui sait… ? poursuivit Kvar, peut-être qu´un jour, Lord Yggdrasill s´apercevra qu´une Humaine n´a rien à faire à la tête des Cardinaux Désians… Et, sur cette dernière menace, Lord Kvar quitta la pièce. |
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