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Lecture du chapitre 12 | |
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Nom de l'œuvre : Tales Of Darkness | Nom du chapitre : L'enfant chaman |
Écrit par Kazumi | Chapitre publié le : 23/4/2006 à 17:13 |
Œuvre lue 41008 fois | Dernière édition le : 21/7/2006 à 14:08 |
Lysa était attablée devant une omelette champignons-fromage et une grande chope de bière glacée. Chester, assis en face d´elle, avait refusé de partager son repas et grignotait des caramels au chocolat d´un air réprobateur. Ils étaient installés dans le minuscule restaurant de la maison du Salut. Pour se faire pardonner sa conduite, Lysa avait loué une chambre pour Chester et avait même demandé au diacre si Calinà t Junior pouvait dormir dans la grange, avec les chevaux des voyageurs. Le diacre n´avait pas protesté. Il s´était contenté de hocher faiblement la tête, à moitié mort de peur, lorsque le vélocidragon s´était jeté sur lui avec l´intention évidente de le dévorer. Lysa avait rapiécé ses vêtements avec du matériel de couture qu´une jeune femme qui travaillait aux cuisines avait eu l´obligeance de lui prêter. Vêtu d´habits propres, les cheveux lavés de frais, elle avait ainsi une allure nettement plus présentable qu´à son arrivée à la maison du Salut. Chester, lui, portait toujours son affreux costume, et mâchouillait ses caramels, l´air mécontent. Il avait la main crispée sur sa boussole â€"à laquelle il semblait tenir particulièrementâ€" comme s´il craignait de se la faire voler à nouveau. â€" T´en fais pas, Chester, fit Lysa avec un sourire moqueur en enfournant un gros morceau d´omelette. Je n´ai pas besoin de te la piquer à nouveau, puisque nous voyageons ensemble ! Elle eut un sourire forcé et leva son verre comme pour porter un toast à Chester qui la dévisagea avec un mépris souverain. â€" Nous allons au même endroit, tu veux dire, corrigea-t-il avec une petite grimace, comme si cette idée le hérissait profondément. Lysa balaya l´argument d´un geste de la main. â€" Autant voyager ensemble, alors, proposa-t-elle. Cela m´évitera de devoir te voler tes affaires à nouveau, Chester, ajouta-t-elle avec douceur. L´enfant rangea précipitamment sa boussole dans les plis de son costume. Lysa sourit. Il y eut un moment de silence durant lequel on entendit seulement Lysa terminer son repas et Chester mastiquer ses caramels. Ils étaient seuls dans la salle de restaurant. Puis, après avoir avalé la dernière bouchée d´omelette, Lysa décida de rompre le silence qui devenait pesant. â€" Qu´est-ce que tu es venu faire à Sylvarant, Chester ? demanda-t-elle brusquement. Chester pinça les lèvres. â€" Je cherche quelqu´un, répondit-il à voix basse. â€" Qui ? â€" Ça ne te regarde pas. Lysa s´attendait à cette réponse. Elle décida de changer de sujet. Une question en particulier lui brûlait les lèvres depuis un certain temps déjà . â€" Tu maîtrises la Magie Interdite ? demanda-t-elle en plantant son regard dans le sien. Chester tritura un caramel en faisant mine de ne pas avoir entendu. â€" Alors ! fit Lysa, agacée. Tu maîtrises la Magie Interdite, oui ou non ? Chester détourna la tête. â€" Je ne vois pas de quoi tu veux parler. â€" Arrête de te payer ma tête ! Les lianes ! Les sortilèges bizarres ! Personne n´est capable de faire ça ! Chester continuait à l´ignorer délibérément. Il fixait avec intensité une fleur fanée qui perdait ses pétales, dans un vase posé sur le bord de la fenêtre. Lysa suivit son regard en fronçant les sourcils. Brusquement, la fleur releva sa corolle, avec lenteur, et ses pétales, de couleur maronnasse, prirent une délicate teinte bleu pâle. La tige passa du vert cramoisi au vert clair tandis qu´une feuille, prête à se détacher de la tige quelques secondes plus tôt, gonfla et se courba comme si elle renaissait de ses cendres. Chester eut un sourire satisfait et reporta son attention sur Lysa. Celle-ci le regarda d´un air abasourdi. â€" C´est… C´est toi qui a fait ça ? â€" Oui, répondit simplement Chester. Chez moi, c´est un sortilège qu´on apprend aux enfants pour tester leurs pouvoirs. â€" Chez toi ? répéta Lysa dont la voix avait grimpé dans les aigus. C´est où, chez toi ? C´était incroyable… Tout simplement incroyable… « La fleur… pensa Lysa. Il a fait revivre la fleur ! » â€" Et je ne vois pas pourquoi vous autres êtres inférieurs vous obstinez à qualifier une magie que vous ne maîtrisez pas d´«interdite», lança Chester d´un air méprisant. â€" Alors c´est vrai ! s´exclama Lysa à voix basse. Tu peux vraiment contrà ler la, heu… Nature… Chester haussa les épaules, désinvolte. â€" Je crois que tu en as eu la preuve cet après-midi, non ? â€" Comment ça se fait ? demanda Lysa, fébrile, ignorant le ton mielleux de Chester. Elle prit conscience de l´incongruité de sa question qui n´avait rigoureusement aucun sens… Puisque Chester racontait n´importe quoi. Personne ne pouvait contrà ler la Nature… â€" Je veux dire, se reprit-elle, brusquement très sérieux et sceptique, c´est complètement absurde, Chester, voyons… C´est impossible. â€" Pour vous, peut-être, répliqua Chester. â€" Mais comment ça se fait ? répéta Lysa, qui trépignait sur sa chaise, échauffée par l´alcool. Chester laissa passer un temps, pour ménager le suspens. â€" Parce que je suis un chaman, dit-il d´un air pénétré. S´il comptait impressionner Lysa avec cette révélation, il fut déçu. Elle se contenta de lui jeter un regard interdit. â€" Hein ? fit-elle, résumant bien son état d´esprit du moment. â€" Je suis un chaman, reprit Chester. Un fils d´étoiles. Un gardien de l´Arbre Géant de Kharlan. Il y eut un instant de flottement. Puis Lysa éclata franchement de rire. Elle se mit à rire à gorge déployée, la main plaquée sur sa bouche, des larmes roulant le long de ses joues. Elle riait tellement qu´elle en avait mal au ventre. Son corps était secoué par un fou-rire qu´elle ne cherchait même pas à dissimuler. Chester prit une expression vexée. â€" Pense ce que tu veux, je m´en fous, dit-il sèchement. Lysa s´arrêta aussitôt. Elle se rappela son entrevue avec Altessa, quelques temps plus tôt. Elle avait refusé de le croire, mettant ses divagations au sujet de son serti-rune sur le compte de la folie. Et Vharley lui-même lui avait apporté la preuve qu´Altessa ne mentait pas. Lysa songea brièvement qu´elle ferait mieux d´y réfléchir à deux fois avant de cataloguer Chester dans la catégorie des timbrés. â€" Tu es gardien de l´Arbre de Kharlan ? reprit-elle d´un ton légèrement incrédule. Mais il est mort il y a quatre mille ans, Chester. â€" Je sais, répliqua-t-il vertement. Il murmura, l´air soudain abattu : â€" Et c´est de notre faute. â€" Tu n´étais même pas né, fit remarquer Lysa. Chester prit ce petit air supérieur qui avait le don d´agacer prodigieusement Lysa. â€" Quand je dis « nous », je pense « notre peuple », expliqua-t-il avec lenteur, comme s´il parlait à une personne lourdement atteinte au niveau cervical. â€" Peut-être, dit Lysa en haussant les épaules, mais tu n´es quand même pas responsable de ce qui a pu se passer il y a quatre mille ans. C´est la guerre de Kharlan… â€"…Qui a fait dépérir l´Arbre Géant, je sais, acheva Chester. L´enfant marmonna dans sa barbe pendant quelques instants, les yeux rivés sur un caramel qui fondait dans sa main, et il lui posa une question à laquelle elle ne s´attendait pas : â€" Tu penses vraiment que nous n´étions… que nous ne sommes pas responsables de la mort de l´Arbre Géant ? demanda-t-il d´une petite voix, avec des yeux de gamin perdu. â€" Bien sûr, fit Lysa en riant. Je n´ai pas vraiment compris ton histoire, mais je doute sérieusement que toi et tes ancêtres ayez pu provoquer la mort de ce truc… Enfin, de cet arbre. Chester sembla méditer sa réponse pendant un moment. Lysa en profita pour terminer sa chope de bière. Puis Chester reprit son histoire sans que â€"miracle !â€" Lysa ait eu à l´y obliger. â€" Les chamans sont les gardiens de l´Arbre Géant de Kharlan, commença-t-il. â€" Tu veux dire « étaient », ricana Lysa. Puis elle jugea que sa réplique manquait peut-être de tact. Chester ne sembla pourtant pas s´en formaliser. â€" Nos ancêtres étaient chargés de veiller sur l´Arbre, et ce depuis la nuit des temps. Depuis que celui-ci n´était qu´un embryon de graine jusqu´à ce qu´il croisse et devienne l´Arbre majestueux qui habite désormais vos histoires. Nous lui donnions notre mana pour assurer sa survie. Vos légendes â€"il insista avec mépris sur ces deux motsâ€" racontent que l´Arbre Géant fournissait la totalité du mana de la planète. C´est complètement faux. L´Arbre ne faisait que décupler les quantités de mana que nous lui remettions. Lysa fut beaucoup moins impressionnée que lorsque Chester avait fait revivre la fleur sous ses yeux. D´autres auraient sauté au plafond. Un historien aurait traité Chester de gentil crétin, un membre du clergé l´aurait étranglé sur place. Lysa accueillit la nouvelle avec une suprême indifférence. Elle ne s´était jamais intéressée au mythes et légendes concernant la guerre de Kharlan et le fait que le mana qui alimentait le monde à cette époque eût provenu d´une source étrangère â€"humaine qui plus estâ€" lui était complètement égal. Au contraire, elle éprouvait même une joie féroce à l´idée que les historiens â€"croyants pour la plupartâ€" chargés de traiter les documents historiques concernant la guerre de Kharlan s´étaient fourré le doigt dans l´œil. Néanmoins, Lysa sentit un bref frisson la parcourir en repensant aux paroles de Chester : si les chamans offraient leur mana à l´Arbre, alors cela signifiait qu´ils… â€" Bien sûr, fit Chester qui semblait lire dans ses pensées, seuls les membres les plus âgés de notre peuple et ceux qui étaient prêts à mourir jeunes pour la survie de l´Arbre lui offraient leur mana. â€" Tu me rassures, répondit Lysa, mal à l´aise. Elle avait l´intime conviction qu´il mentait. Il semblait réciter un texte appris avec une application de bon élève. En bonne pragmatique, Lysa s´interrogea immédiatement sur la valeur du pacte qui liait l´Arbre Géant au peuple chaman. Si toutefois l´on pouvait vraiment conclure un pacte avec un arbre. â€" Et qu´est-ce que vous y gagniez, vous ? â€" Du pouvoir, répondit Chester, énigmatique. Des pouvoirs. Des pouvoirs auxquels personne, à part nous, n´avait accès. Il eut un sourire et plissa les yeux, ce qui le faisait ressembler à un gros matou. â€" Ceux que tu m´as vu exercer contre ta personne, par exemple. â€" Bien sûr, dit Lysa d´un ton glacial. Comme d´habitude. Du pouvoir, encore et toujours plus. « Donc, pensa-t-elle, il maîtrise bien la Magie Interdite. Et les membres de l´Eglise de Martel se sont une fois de plus foutus de notre gueule. » Au fil de la conversation, elle éprouvait une méfiance grandissante à l´égard de Chester. Tout d´abord, il était beaucoup trop intelligent pour un gamin de huit ans. Ensuite, il partageait des valeurs auxquelles elle n´adhérait pas. Lysa n´était pas quelqu´un de scrupuleux, elle accordait peu d´importance à la vie d´autrui, mais quelque chose dans l´idée du sacrifice, dans l´idée que des gens, dès leur naissance, étaient voués à mourir sans même avoir eu le temps de tenter leur chance, lui donnait la nausée. â€" Et même si l´Arbre de Kharlan est mort, lança Lysa de façon insolente, vous avez encore accès aux pouvoirs qu´il vous offrait ? Quelle chance ! â€" Nous ne sommes pas directement responsables de la mort de l´Arbre Géant, bien que certains d´entre nous continuent à le penser. Je pense que c´est pour ça que nous n´avons pas perdu nos pouvoirs, et qu´ils sont toujours transmis de générations en générations. â€" Formidable. Un jeune garçon vêtu d´un habit de novice vint déposer une part de gâteau au chocolat charbonneux sur la table, créant une heureuse diversion. Lysa se pencha sur le gâteau, fit la grimace, et repoussa l´assiette vers Chester qui l´empoigna aussitôt. De toute évidence, il vouait une admiration sans bornes à tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à quelque chose de sucré. â€" Je suppose que seuls les Humains pouvaient devenir gardiens de l´Arbre Géant, non ? demanda Lysa à brûle-pourpoint, en regardant Chester engloutir son gâteau comme s´il n´avait rien avalé depuis des semaines. â€" Erreur ! N´importe qui peut devenir chaman. Même les Demi-Elfes. Mais il y a des épreuves à passer, assez dures d´ailleurs. Et puis il faut une certaine force morale pour supporter l´entraînement. Cela fait environ cinq ans que nous n´avons pas accueilli de nouvel élève dans notre communauté. Lysa tressaillit. â€" Tu veux dire que n´importe qui peut toujours devenir chaman ? Même si l´Arbre de Kharlan est mort ? â€" Bien sûr. Ça ne change rien. Chester enfonça sa petite cuiller dans la croûte de son gâteau. Ses lèvres étaient entourées de festons de chocolat. â€" Mais très peu de chamans acceptent de faire passer les tests à ceux qui veulent le devenir. â€" Pourquoi ? Chester eut brusquement l´air très mal à l´aise. Il murmura en détournant la tête, le regard fuyant : â€" Il y a eu une période de troubles… Des guerres… Les chamans sont un peuple pacifique, mais nos pouvoirs attirent les convoitises… Nous avons été obligés de nous cacher. Très peu de personnes connaissent encore notre existence. Il ajouta, en s´essuyant la bouche d´un revers de manche : â€" Et nous avons toujours peur que les gens qui viennent nous voir pour devenir chamans puissent être des… espions. â€" Des espions ? â€" Oui, des espions qui viendraient nous voler nos secrets. Lysa lui jeta un regard interrogateur, pour l´engager à poursuivre, mais Chester semblait avoir épuisé sa verve. Il se contenta de lui adresser un sourire mi-figue mi-raisin, puis reporta son attention sur son gâteau dont il ne restait que les miettes. Lysa se leva de table. En fin de compte, cette discussion ne lui avait rien apporté. Elle avait toujours l´impression de nager en plein brouillard au sujet de Chester. Pire, elle avait maintenant la conviction que la vie de l´enfant était entouré par les brumes du mystère qui s´épaississaient encore plus à chaque fois qu´elle tentait de les écarter. À moins qu'il ne soit tout simplement mythomane. Avec un bref signe de tête, Lysa salua Chester. â€" Bonne nuit, Chester ! lança-t-elle à l´enfant qui restait planté sur sa chaise, l´air absent. â€" Bonne nuit, murmura-t-il. « Nos pouvoirs attirent les convoitises… » En montant les marches qui menaient à sa chambre, Lysa se remémora les paroles de Chester. Elle se demanda si elle courait un risque en voyageant à ses côtés. Elle se dit qu´elle pourrait toujours se débarrasser de lui dès qu´elle n´aurait plus besoin de son aide. Mais, bizarrement, cette idée ne lui procurait aucun plaisir. La route qui reliait la maison du Salut à Palmacosta était tracée sur une vaste étendue d´herbe peuplée d´ornières. Au moindre faux pas, les marcheurs s´enfonçaient jusqu´à la taille dans le sol friable, s´écorchant les vêtements au passage. Progresser dans ce bourbier relevait carrément de l´exploit. Parfois, brigands et monstres venaient attaquer les voyageurs qui avançaient sans méfiance. Au bout d´une heure de route au milieu de cet enfer, Chester put constater à quel point le vocabulaire de Lysa était étendu. â€" Pays de merde ! hurla-t-elle pour la cinquantième fois au moins alors qu´un détrousseur s´enfuyait en gémissant, les mains plaquées sur son postérieur d´où s´élevait une crête de flamme. Celui-ci était du genre coriace. Il avait fallu les forces conjuguées de Lysa, Chester et même Calinà t Junior (qui avait participé à la bataille avec enthousiasme) pour en venir à bout. Ils étaient partis à l´aube, espérant ainsi échapper aux brigands qui viendraient probablement les attaquer sur cet axe fréquenté. Malheureusement, les voleurs faisaient des heures supplémentaires, même à cinq heures du matin. Ils avaient été attaqués au bout de dix minutes de marche. Il avait fallu près d´une journée de marche aux voyageurs pour rejoindre Palmacosta. Pendant ce temps, Lysa avait discuté avec Chester, lui demandant des infos sur Sylvarant qu´il semblait connaître comme sa poche. Elle apprit notamment ce que signifiait le mot « Désian ». Chester lui raconta d´une voix monocorde des histoires à faire froid dans le dos sur ces soldats Demi-Elfes qui torturaient des cobayes dans leurs fermes humaines afin de fabriquer des exsphères. Lysa en garda une désagréable impression de malaise en pensant que les Désians et elle-même appartenaient à la même race. Ils arrivèrent à Palmacosta vers neuf heures du soir. La ville portuaire était plongée dans le noir et ils n´en virent pas grand-chose. De toute manière, ils étaient trop fatigués pour remarquer quoi que ce fut. Pas même la jeune fille adossée au mur d´une maison et qui les regardait d´un Å“il perçant, son badge Désian étincelant au clair de lune. |
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