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Lecture d'un chapitre



Lecture du chapitre 2
Nom de l'œuvre : Chaos Sanctuary Nom du chapitre : La fugitive
Écrit par Kailianna Chapitre publié le : 7/6/2008 à 03:35
Œuvre lue 14090 fois Dernière édition le : 31/5/2009 à 19:37
Je m'appelle Falke, et, tout d'abord, il est bon de préciser que vous lisez sans doute ceci pour de mauvaises raisons. Je n'ai ni une grande histoire, ni un grand panache, et pourtant j'ai décidé de ressasser tout ce que j'ai vécu jusqu'à aujourd'hui. Non pas par mélancolie, ni par narcissisme, mais parce qu'à l'âge de quinze ans, par le plus pur des hasards, j'ai rencontré la personne la plus extraordinaire qui soit, et qu'elle a chamboulé non seulement ma vie, mais aussi un monde tout entier. Il est étonnant de constater à quel point certaines coïncidences peuvent bouleverser les existences.
Celui que vous allez découvrir dans les pages suivantes est le garçon que j'étais quelques années plus tôt, à une époque où ce que l'on appelait le "temps des dresseurs" était révolu depuis longtemps. Le monde d'alors était morne, fade, sans saveur. Jusqu'à ce jour bien particulier, par lequel je commencerai mon récit.


Ce fut l'un de ces fabuleux hasards qui fit que, ce soir-là, c'est à ma porte qu'elle frappa. La première fois que je vis Noa, elle était dans un état si lamentable que j'ai peine à m'en rappeler.
Une soirée épouvantable, c'était le cas de le dire : il pleuvait des cordes dehors, et le vent, furieux, sifflait incessamment. Collé contre la vitre, j'observais les striures d'un blanc électrique qui perforaient régulièrement le lourd manteau nuageux du ciel, fasciné. Il devait être aux alentours de dix heures du soir, lorsque trois petits coups secs, à peine audibles, furent frappés à ma porte. Quelqu'un dehors, à cette heure et par ce temps ? J'allai ouvrir, et quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris non pas un voisin comme j'en avais eu la vague intuition, mais une petite fille.
Treize ans, tout au plus, trempée jusqu'aux os. Proche de la maigreur, elle avait la peau d'un blanc laiteux, maladif. Sa tête était baissée, si bien que j'avais du mal à en distinguer les traits. Je discernai tout de même une petite bouche rosée, discrète, surmontée d'un nez fin et aquilin et de deux immenses yeux bruns, le tout encadré par de multiples mèches d'un noir de jais, sales et emmêlées. Même dans cet état pitoyable, la fillette était jolie. Elle me regarda fixement, et je devinai qu'elle cherchait à cacher sa fatigue.
- J'ai besoin de me reposer, maugréa-t-elle d'une voix éteinte.
Je restai quelques instants, interloqué, sur le pas de la porte. Jamais encore mes parents ou moi n'avions hébergé une personne inconnue à la maison, et à vrai dire, je pensais que ce genre de choses-là n'arrivaient que dans les livres. Je me hâtai d'aller lui chercher une couverture et de la faire asseoir sur le canapé.
- Comment t'appelles-tu ? hasardai-je, soucieux de mon tout nouveau ràle d'hàte.
Une gamine qui débarque chez vous, sans prévenir, dans un état déplorable, ça n'arrive pas tous les jours.
- Noa.
Ce furent ses dernières paroles. Après quoi, sa tête tomba lentement en avant, et elle sombra dans un sommeil profond, duquel je n'osai pas la tirer. Je contemplai encore quelques secondes l'inconnue. Qu'avait-il bien pu lui arriver pour qu'elle se retrouve dans cet état ? Je décidai d'oublier mes questions dans l'immédiat, elle avait besoin de sommeil. A bout de bras, je la portai difficilement jusqu'à ma chambre et la déposai dans mon lit. Je dormirais par terre cette nuit, peu m'importait. Je sombrai dans le sommeil en me demandant comment j'avais pu faire entrer la fillette chez moi sans m'étonner davantage de la chose, tout cela était bien trop inhabituel. C'était sans doute la raison pour laquelle je lui avais apporté mon aide, après réflexion.
Le lendemain matin, le soleil me réveilla vers dix heures. Mon premier réflexe fut de me retourner vers mon lit, comme pour m'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Noa n'y était plus. Je me serais peut-être réellement posé des questions, notamment sur ma santé mentale, si le lit n'était pas fait impeccablement. Ce n'était assurément pas mon œuvre. Je me levai alors précipitamment et descendis dans la cuisine, m'attendant à la trouver vide, voire à découvrir un mot griffonné à la va-vite sur la table pour me remercier. Mais elle était là. Ses affaires sales de la veille étaient roulées en boule dans un coin, et elle avait revêtu des vêtements appartenant à ma petite sœur, assurément sans son autorisation. Assise en tailleur sur un fauteuil, elle sirotait une boisson chaude. Je fus dans un premier temps étonné de voir les libertés qu'elle avait prises dans une maison qui n'était pas la sienne, mais j'oubliai rapidement tout cela en constatant qu'elle avait repris des couleurs et qu'elle semblait aller mieux. Ses longs cheveux noirs étaient propres et démêlés et sa peau ne me paraissait plus si pâle. Lorsqu'elle me vit arriver, elle me tendit une autre tasse.
- Tu veux du thé ? J'en ai préparé.
Elle n'avait plus rien de la fillette vulnérable qui m'était apparue hier. Sa voix était forte et confiante, elle semblait se sentir parfaitement à sa place. Je ne trouvai rien d'autre à faire sur le moment que de hocher négativement la tête, et de rester là, interdit. Elle haussa les épaules, et continua à boire son thé. Je m'assis sur le canapé en face d'elle et attendis qu'elle ait fini. Après quoi elle reposa sa tasse et daigna enfin poser un regard sur moi.
- Désolée pour hier, j'ai dû te déranger. J'avais besoin de me reposer, et je ne sais pas si j'aurais tenu toute la nuit sous la pluie. Merci pour ton aide.
Elle s'inclina légèrement en guise de remerciement, à la manière qu'avaient les jeunes filles de faire la révérence, à une autre époque.
- Je pense partir très bientôt, reprit-elle, je ne voudrais pas te gêner plus longtemps.
- Oh, tu ne me déranges pas, fis-je en haussant les épaules. En revanche j'aimerais bien savoir ce qui t'es arrivé.
Noa se figea un instant, puis un léger sourire se dessina sur ses lèvres.
- Oui, évidemment. Ça ne doit pas être... courant, de voir quelqu'un débarquer chez soi par une nuit pareille.
J'étais sidéré. Il se dégageait de cette fillette une assurance peu commune, tandis que moi, au moins de quelques années son aîné, je restais là, sans rien dire, presque gêné.
- Pas vraiment, non, ajoutai-je.
Elle poussa un léger soupir et lança d'un ton presque insouciant :
- Je me suis enfuie de chez moi.
Je n'ai jamais été très bon menteur, en revanche je sais très bien identifier les mensonges. Ça sentait l'invention à plein nez. Je jugeai néanmoins qu'il était inutile de lui poser davantage de questions à ce sujet. Pour qu'elle se trouve dans un état si lamentable la veille, il était envisageable qu'elle ait des choses à cacher, et bien que tout cela suscitât en moi une violente curiosité, je gardai le silence, comme si j'avais gobé son mensonge.
Pendant l'heure qui suivit, nous eûmes une vraie discussion, grâce à laquelle j'en appris plus à son sujet. Elle avait douze ans, et venait du Nord du pays. Elle ne développa pas plus son histoire de fugue, qui sonnait faux, sans doute s'en était-elle rendue compte. Je lui parlai vaguement de moi, après quoi nous abordâmes divers sujets et je fus étonné de découvrir que cette petite Noa était une personne redoutablement intelligente et intéressée pour son âge. Pour tout dire, il m'arriva de me sentir prodigieusement stupide à côté d'elle au cours de cette discussion, et ce ne serait pas la dernière fois, loin de là.
Je n'ai aucune idée de la façon dont les choses s'orchestrèrent, tout cela demeure bien trop flou dans ma mémoire. Le fait est que, d'une façon inexplicable, elle resta, et vécut avec nous quelques temps.

Même mes parents trouvèrent Noa charmante. Elle se présenta comme une amie à moi, obligée de passer quelques jours à la maison en raison de l'hospitalisation de son père, et du travail contraignant de sa mère. Elle eut l'air si convaincante qu'ils en furent émus et l'installèrent dans la chambre de ma petite sœur sans faire aucune histoire, eux qui étaient d'ordinaire assez peu coopératifs à ce niveau-là. Malgré l'assurance calme et mature dont avait fait preuve Noa, elle s'entendit très bien avec Lynn, qui était pourtant son radical opposé. Noa ressemblait beaucoup plus à une enfant de douze ans lorsque Lynn, ou quelqu'un d'autre de ma famille, était là. En revanche lorsqu'il arrivait qu'elle se retrouve seule en ma compagnie, elle retrouvait son comportement si étonnant et ne manquait pas de me surprendre. Elle s'intégra si vite à la famille que ce fut comme si elle avait toujours été là. Le souvenir de ce samedi soir commençait à devenir moins imposant à ma mémoire, je m'habituais à sa présence bien plus facilement que je ne l'aurais cru. Lorsque j'allais au lycée, elle restait et aidait à la maison, puis m'accueillait lorsque je rentrais. Cette routine qui s'installait ne devait pas durer longtemps. Je n'avais jamais proposé à Noa de rester, les choses s'étaient faites d'elles-mêmes. De la même façon, elle ne m'avait jamais parlé du jour où elle s'en irait.

Je me souviens de ce soir, en particulier. Ce devait être une dizaine de jours après son arrivée en catastrophe chez moi. J'étais en train de m'endormir, lorsqu'elle ouvrit la porte sans faire de bruit et me toucha légèrement le bras. J'émergeai de mon sommeil en poussant un grognement et regardai l'intruse, qui posa son index sur ses lèvres. Je soupirai et m'assis sur mon lit.
- Qu'est-ce qu'il y a ? marmonnai-je, encore à moitié endormi.
Elle s'assit à côté de moi et laissa s'écouler quelques secondes avant de répondre.
- J'ai menti, avoua-t-elle. Je n'ai pas du tout fugué de chez moi.
- Je le sais bien, ne me prends pas pour un crétin, fis-je d'un air faussement fâché.
Elle continua, imperturbable, comme si elle n'avait pas entendu ma réflexion.
- J'aurais dû vous le dire immédiatement, mais j'avais peur que vous ne me preniez pour une folle. Et puis, je ne voulais pas déranger ta famille.
- Abrège. Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je, d'un ton presque impatient.
Elle se tut quelques instants, comme pour choisir ses mots avec soin, puis elle tourna son visage vers moi et me dit d'un air grave :
- Il est arrivé quelque chose de grave. Et non seulement, vous n'êtes pas à l'abri de tout ce qui peut arriver, mais je suis en plus un danger supplémentaire.
J'avoue que sur le coup, je ne trouvai rien d'autre à faire que d'écarquiller les yeux et réfléchir très fort. Me faire encaisser ça à peine éveillé, c'était un peu fort. Je ne lui connaissais pas ces yeux de prophète, et j'avais peine à croire qu'elle parlait sérieusement.
- Hein ? Qu'est-ce que tu racontes, bordel, je comprends rien, ajoutai-je en grommelant.
- Je suis sérieuse Falke, fit-elle en se renfrognant, je ne peux pas vous faire courir ce risque. C'est plus ou moins ma faute, tout ça. Demain je partirai.
Un long silence s'insinua dans ses paroles, et je ne trouvai rien à rétorquer. De quoi pouvait-elle bien parler ? J'avais du mal à mesurer la situation, j'avais du mal à la prendre au sérieux. Quand j'y pense, j'aurais dû réagir différemment. Mais mon esprit fatigué ne trouvait rien à redire.
- Mais tu ...
- Falke, me coupa-t-elle, si tu as encore un minimum de bon sens, mets-toi à l'abri, pour quelques temps au moins. Des temps difficiles s'annoncent, des catastrophes, mais nous ferons ce qu'il faut. C'est pour ça qu'il faut que je parte. Merci de m'avoir accueillie, et fais attention à toi.
Des mots planaient dans ma bouche mais elle ne me laissa pas le temps de les prononcer et coupa court la discussion pour retourner dans la chambre de Lynn. Pour ma part, je n'en revenais pas. Qui était ce « nous » dont elle parlait ? Et ces catastrophes ? Dix minutes plus tard, je m'étais convaincu moi-même que j'avais rêvé, et je ne dus pas mettre longtemps à me rendormir, sans chercher à comprendre quoi que ce soit. Je fus détrompé pas plus tard que le lendemain matin, en découvrant un mot griffonné et déposé sur la table de la cuisine.
« Au revoir et merci. »
Quatre mots. Pas même une explication, rien. Juste de quoi se donner bonne conscience. Ma première impulsion fut de hausser les épaules, puis de jeter le papier à la poubelle. Oui, sur le coup, je crois que je lui en ai voulu. Je me jurai d'oublier cette histoire, et la vie reprit son cours normal. Officiellement, le père de Noa était sorti de l'hôpital et elle était retournée chez elle. Mes parents ne se posèrent pas plus de questions, et moi non plus. Pas un instant je n'eus l'idée qu'elle avait peut-être raison. Pas un instant je n'envisageai de réfléchir à tout cela. Et pourtant, une semaine plus tard, ses dires devinrent réalité.
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