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Lecture d'un chapitre



Lecture du chapitre 4
Nom de l'œuvre : Les Racines Magnétiques Nom du chapitre : Les Tuteurs des uns font le bonheur des autres
Écrit par Kailianna Chapitre publié le : 12/11/2010 à 21:42
Œuvre lue 16996 fois Dernière édition le : 1/9/2012 à 18:51
[Jinko] Six heures du matin. L'insomnie s'était emparée de moi, et ne me lâchait plus. Cela faisait onze ans, à présent, que je menais contre elle une lutte imaginaire, et qu'elle venait chaque nuit me dérober impitoyablement quelques heures de cette tranquillité nocturne dans laquelle baignaient tous les autres. Je finis par me lever silencieusement, et quittai la cabine, avide d'air frais.

J'avais les idées en vrac et les jambes engourdies. Mes pas me portèrent machinalement jusqu'au pont. L'air était lourd, exagérément tiède pour une heure si matinale. Ce type de climat indiquait le début de la saison creuse : les cinq mois à venir seraient chauds et secs, suffocants parfois, cependant les quelques rares manifestations magnétiques de la saison seraient anodines ( ce pourquoi la date du départ de la Nébuleuse avait été fixée au tout début de la saison creuse ). Les cinq mois écoulés, les températures se radouciraient, et nous entrerions dans la saison suave.

Le dôme qui recouvrait toute la cité-bulle d'Arrakas atténuait considérablement les effets du climat, si bien que je n'avais strictement aucune idée des caractéristiques que chaque saison pouvait prendre dans le Dehors. De tous ceux qui resteraient confinés dans la cité-bulle toute leur vie – soit la quasi-totalité de la population – , aucun ne connaîtrait jamais la pluie et l'orage. Même les notions de froid et de chaud étaient peu utilisées, car si les températures variaient considérablement selon les saisons, là-bas, dans le Dehors, elles étaient en revanche très homogènes à l'intérieur. Les cité-bulles étaient des milieux constants, des petites oasis de tranquillité perdues dans le Dehors déchaîné, hostile, mais extraordinairement vivant.

Je remarquai, au sommet de l'un des mâts, une petite plateforme ressemblant vaguement à un tonneau, qui semblait avoir été édifiée pour accueillir à son bord une ou deux personnes. On devait voir à des kilomètres à la ronde, une fois perché là-haut. Je décidai donc d'entreprendre l'ascension, m'accrochai fermement aux cordages et commençai à grimper. Je crus tomber plusieurs fois, et sans doute la chute m'aurait-elle été fatale, heureusement je parvins à chaque fois à recouvrer suffisamment de maîtrise de mes membres pour parvenir en haut sans autres dommages que quelques courbatures dans les bras. Je regardai autour de moi, satisfait de la vue que l'altitude m'offrait, et contemplai les lumières d'Arrakas, nuées de tâches luminescentes à la couleur cuivrée, éclairant d'un œil morne les ruelles désertes.

- Toi non plus, t'arrives pas à dormir, hein ? Profite de la ville et de ses lumières, fit une voix derrière moi. Bientôt, Dehors, il n'y aura plus de boules lumineuses pour nous guider. Quand on a grandi ici, on n'a pas idée de ce que c'est, d'être plongé dans l'obscurité totale, sans repère, sans rien d'autre pour avancer que son flair.

Je me retournai vivement, et reconnus la silhouette barbue de Sirus qui se découpait dans l'obscurité. Il venait de poser le pied sur la plateforme, à mes côtés, ayant grimpé si silencieusement que je ne m'étais pas aperçu de son arrivée.

- Son flair ? répétai-je stupidement, encore sous l'effet de surprise.

- Son instinct, si tu préfères.

Il s'accouda à la barrière de bois et son regard se perdit dans le lointain. Sirus m'intriguait profondément. Une aura mystérieuse semblait l'envelopper perpétuellement. A son allure et à sa façon de regarder dans le vague, on l'aurait dit sorti d'une autre dimension, comme si les choses de ce bas monde ne l'atteignaient absolument pas. Sirus m'inspirait cependant une certaine sympathie mêlée de curiosité.

Un profond silence s'installa alors, non pas un de ces silences gênants comme je n'en avais que trop souvent vécu, mais une simple absence de paroles, comme si l'échange entre nous s'effectuait à un tout autre niveau. Trop de questions me brûlaient néanmoins la gorge pour que je puisse les contenir plus longtemps. Alors que je m'apprêtais – non sans gêne – à l'interroger sur sa fonction, il sembla anticiper ma question et y répondit, me laissant stupéfait.

- Je suis routier. C'est moi qui définis le trajet de la Nébuleuse dans le Dehors, selon mes connaissances du terrain. En étroite collaboration avec le magnéticien, évidemment, et souvent avec la pilote.

Je ne sus jamais s'il avait bel et bien deviné la nature de mon interrogation ou s'il s'agissait d'une coïncidence. Tout stupéfait que j'étais, je me contentai de hocher la tête.

- J'ai appris beaucoup de choses, reprit-il. A me repérer par rapport à la position des étoiles, par exemple. C'est pas extraordinaire, ça ? Par ma barbe ! J'ai appris par cœur des cartes du ciel, alors que j'ai jamais vu une seule putain d'étoile de ma vie.

Les étoiles. Tout le monde connaissait leur existence, mais personne ne les avait jamais vues. A cause du dôme, bien entendu. Impossible de discerner quoi que ce soit, à travers cette cloche épaisse comme deux hommes, et certainement pas des étoiles. Dans les contes pour enfants, on racontait qu'elles étaient des millions de petits yeux grands ouverts sur le monde, et que chacune d'entre elles veillait sur un être humain. Cette histoire faisait partie de toutes celles que l'imaginaire collectif avait générées pour éviter de se rendre à l'évidence : on ne savait rien du Dehors. Le monde entier nous était totalement inconnu, et l'espace quotidien et rassurant se limitait aux frontières de la cité-bulle dans laquelle on vivait.

Une voix tonitruante me tira alors de mes réflexions.

- Hé, Jink' ! Je m'disais aussi que t'étais pas dans ton pieu !

En contrebas, sur le pont, se trouvait Beo, qui semblait en pleine forme.

- Salut l'ami ! fit-il à l'attention de Sirus, lequel répondit par un bref signe de tête.

- Mais qu'est-ce que tu fais debout à cette heure ? criai-je suffisamment fort pour que Beo m'entende.

Trois insomniaques dès le premier jour, c'était une jolie moyenne.

- Tu crois que ton petit déjeuner va se préparer tout seul ? Ha, t'es bien un citadin, toi ! s'exclama Beo d'un ton rieur. Le jour va pas tarder à se lever et je ne voudrais pas m'attirer les foudres du cap'tain dès le début de mon service !

Le ciel commençait en effet à pâlir à l'horizon.

- Vous venez me filer un coup de main, bande de fainéants ? fit Beo, hilare.

Sirus et moi entreprîmes la périlleuse opération de la redescente et nous rendîmes aux cuisines.


[Tokus] Lorsque nous arrivâmes dans le réfectoire, nous eûmes l'excellente surprise de trouver la table du petit déjeuner déjà copieusement garnie. Hakks me regarda d'un air gourmand.

- Je m'en pourlèche les babines d'avance !

- Ben voyons ! Comment tu causes toi ?

Il rouspéta quelques secondes et se reprit.

- J'ai tellement la dalle que je pourrais engloutir un boltugue.

- Ha, je préfère ça.

Si Hakks et moi n'étions pas les seuls à savoir ce qu'était un boltugue ( et laissez-moi vous dire que c'est une bestiole des plus impressionnantes ), les quelques camarades déjà présents dans le réfectoire auraient sans doute ouvert de grands yeux à la déclaration de Hakks. La faune qui peuplait le Dehors n'avait plus aucun secret pour nous, et demeurait obscure pour tous les autres, ce qui recouvrait quelques avantages. Nous raffolions par exemple de donner des petits surnoms d'animaux adaptés à chacun, et quelque chose me dit que ça n'aurait pas plu à certains s'ils en avaient compris la signification...

Nous nous assîmes aux côtés de Lazuli, extrêmement concentrée sur la réalisation d'une tartine.

- Bonjour mam'zelle ! fit Hakks d'un ton enthousiaste. Alors, cette première nuit à bord ?

Lazuli leva les yeux vers nous, comme pour s'assurer que c'était bien à elle que l'on s'adressait, puis répondit.

- J'ai bien dormi, merci. Et vous ?

Un peu timide, cette petite ! Je n'aurais pas été étonné si le rouge lui était monté aux joues ( à moins que ce soit Hakks qui lui fasse peur, ce que je pouvais tout à fait concevoir : il était de notoriété publique que ce bonhomme était une brute et moi un charmant garçon, évidemment ).

- Ho, j'ai bien dormi, répondit Hakks. La nuit aurait sans doute été encore plus belle si un crétin dont je tairai le nom n'avait pas eu la délicate attention de me réveiller à coups de caleçon en braillant une chanson paillarde.

Une brute, ne l'avais-je pas dit. Il leva innocemment les yeux au ciel.

- C'était pour me venger d'une certaine fois où je me suis réveillé dans une armoire fermée à clef, dis-je pour ma défense.

Lazuli eut un sourire amusé, mais ne dit rien. Pas bavarde, la demoiselle, mais qu'est-ce qu'elle était jolie ! Elle me faisait penser à ces princesses de l'ancien temps, qu'on ne rencontre plus à présent que sous forme de peinture à l'aquarelle entre les pages d'un bouquin, bien entendu. Mais elle avait les mêmes longs cheveux noirs, épais, brillants, parfaitement lisses, et des yeux à en éblouir n'importe qui. Quel dommage qu'elle fût si réservée, comme si elle avait peur de tout. Je me donnai pour objectif de faire en sorte qu'elle soit à l'aise, avec nous comme avec les autres, et je sus en jetant un coup d'œil à Hakks qu'il avait pensé la même chose. Elle m'inspirait une certaine affection, contrairement à d'autres.

Tout en remplissant mon bol d'une purée fumante, exhalant une odeur délicieuse ( mais qu'est-ce qu'il pouvait bien mettre là-dedans, Beo ? ), je fis une tentative pour en apprendre un peu plus sur la jeune femme.

- J'me pose pas mal de questions sur les mousses ! avouai-je. Comment le Ministère vous a-t-il formé si vous n'avez pas eu de Tuteur ?

Notre Tuteur à Hakks et moi avait beau être aussi crétin que nous, il était devenu si présent dans notre vie qu'il semblait tout à fait inconcevable que quelqu'un eût reçu une formation d'une façon différente ! Sans compter que Lazuli et tous les autres mousses n'avaient été recrutés que très récemment... Alors comme ça, y'avait des gens à bord qui savaient encore ce que c'était que d'avoir une famille ?

- Oh, ce n'est pas très intéressant vous savez. On a été sélectionnés, Jinko, Dink, Jilal et moi, et on devait simplement se rendre deux jours par semaine à un lieu de rendez-vous qui changeait toujours. Ça fait seulement un an, vous savez. Ce n'est rien par rapport aux années de formation que vous avez reçues.

- Incroyable ! m'exclamai-je. Deux jours par semaine seulement ? Ça veut dire que vous pouviez avoir une vie à côté ! Nous, y'a bien longtemps que notre vie est consacrée entièrement à notre avenir de Corsaires.

- Qui s'annonce brillantissime, en toute modestie bien sûr, ajouta Hakks, un brin d'ironie dans la voix.

Lazuli eut un sourire plus détendu que les précédents. Bon, elle se sentait sans doute un peu plus à l'aise.

- Et qu'est-ce qu'on vous a appris pendant cette année ? m'enquis-je.

D'aucuns auraient pu croire que je posais toutes ces questions dans l'unique but de faire la conversation à la jeune femme. Mais que nenni ! C'était mal connaître le grand, l'unique, l'audacieux, l'illustre Tokus Farbs ( j'exagère ? ). Je m'interrogeais réellement au sujet des mousses. C'est qu'on ne nous en avait jamais parlé, à nous. Les gars du Ministère n'avaient jamais mis l'accent là-dessus. Faut dire aussi que je crois qu'ils les méprisaient un peu, les mousses, comme s'ils n'étaient que des personnages secondaires dans l'histoire.

- On est un peu les bons à tout faire, à bord du vaisseau, répondit Lazuli comme pour confirmer ma dernière pensée. Décharger les marchandises, filer un coup de main en cuisine quand c'est nécessaire, nettoyer le pont... et puis, on connaît toutes les manœuvres à effectuer à bord. En cas de tempête magnétique, par exemple, on doit replier les voiles sinon les capteurs risquent de s'arracher.

- C'est très physique, votre boulot, remarqua Hakks. J'espère que t'as du courage à revendre, toi.

- Et si un jour t'en as marre, tu peux venir chasser avec nous si tu veux ! proposai-je.

- C'est vrai ? fit-elle, l'air réellement étonné.

- Bien sûr ! fit Hakks, tout sourire. Ici, personne n'a à nous dire ce qu'on peut faire ou non, autant en profiter. On dispose d'une petite navette volante qui s'appelle la Coquille pour aller dans le Dehors.

- Mais on l'appelle Raoul, c'est plus sympa, précisai-je.

- En tout cas, il doit bien y avoir de la place pour trois ! continua Hakks. Ce serait avec plaisir qu'on t'offrirait une petite virée à l'extérieur, ne serait-ce que pour regarder le paysage.

Lazuli, tout sourire, accepta de bonne grâce.

Celle-là, pour sûr, on se l'était mis dans la poche. Tant mieux, elle m'inspirait confiance, et j'avais hâte de voir ce qu'elle deviendrait lorsqu'elle se sentirait totalement à l'aise.


[Neith] Entre le jus de fruits ( c'est étrange, ça a un goût très suave et très sucré, mais je serais incapable de dire ce que c'est ) et l'espèce de galette granuleuse dont je ne connais pas le nom, j'aperçois les deux toqués, un peu plus loin, qui font la conversation à Lazuli. Eh ben ! Si ce sont des séducteurs en plus d'être des bavards, on n'en a pas fini avec eux. Ils ne me disent rien qui vaille. Ou plutôt, ils m'agacent. C'est ça, ils m'agacent. Leurs pitreries, ça va cinq minutes, mais ils me sortent déjà par les trous de nez.

Ce matin j'ai été convoqué dans la cabine du capitaine qui « voulait faire les choses bien », et j'ai établi le premier contact entre la Nébuleuse et Amskin. Amskin, c'est la première cité-bulle dans laquelle on va aller, pourtant c'est la plus éloignée d'Arrakas ! Tsegaya et Talliope sont plus proches, mais les ordres sont les ordres, comme dit le cap'tain, on doit d'abord aller à Amskin. Alors j'ai bidouillé sur la radio pour leur envoyer le message. D'ici, on était trop loin pour obtenir un contact de vive voix. Il faudra attendre d'être dans le Dehors pour communiquer plus facilement. Alors je leur ai écrit en langage wok, c'est celui qu'on utilise quand les signaux radiophoniques sont de faible intensité.

On a un chargement de babioles en provenance d'Arrakas à leur remettre. Trois fois rien, de l'artisanat. Mais il paraît que c'est exotique, et que ça se vend bien, à Amskin.

J'aimerais voir à quoi ça ressemble, cette ville. Est-ce que chaque cité-bulle est différente des autres, ou est-ce qu'elles sont toutes semblables ? C'est dingue de se dire que là-bas, à quelques semaines de navigation de chez nous, y'a des gens qui vivent peut-être d'une façon totalement différente, et qu'on n'a jamais rien su d'eux.


[Nabion] Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre de moi, ce matin là, je veillai à être le dernier à arriver dans la salle qui faisait d'ores et déjà office de salon. Je n'aurais su expliquer pourquoi, mais il m'aurait été trop dur de rester seul, en face de Lizbeth. Car c'était aujourd'hui ma Tutrice qui venait s'entretenir avec tous les nouveaux Corsaires que nous étions. C'était d'usage, pendant la semaine de préparation au départ, qu'un ancien capitaine de vaisseau vint parler aux futurs écumeurs du Dehors.

Lorsque j'arrivai dans la salle, tout le monde était déjà installé. Disposés en cercle, tous les Corsaires étaient là. Et moi qui m'attendais à tout, sauf à de la ponctualité de leur part ! En face, Pietro Rasgutt et un autre envoyé du Ministère, reconnaissable à son costume de fonction, étaient assis dans d'épais fauteuils ( ceux-là, nul doute que je me ferais plus tard une joie de me vautrer dedans après une dure journée de labeur ), juste à côté de Lizbeth. Sa vue me troubla, il y avait pourtant à peine trois semaines que je ne l'avais pas vue. Je m'assis silencieusement à la place qui m'était réservée, et la contemplai du coin de l'œil.

Elle était là, assise en face de nous, nous regardant de ses grands yeux bleus tranquilles et fatigués, ourlés de cernes. Un léger sourire au coin des lèvres. Je remarquai les quelques rides aux coins de sa bouche et de ses yeux, qui trahissaient une vieillesse contre laquelle elle avait cessé de lutter depuis bien longtemps. Lorsqu'elle était devenue ma Tutrice, elle avait une quarantaine d'années et était encore pleine d'énergie, d'une vitalité à couper le souffle. A présent, ses cheveux blanchissaient, inexorablement, et ce temps qu'elle avait fui pendant des années la rattrapait lentement. On lisait sur son visage l'expression d'une sagesse infinie. Lizbeth avait le regard de ceux qui savent. Cette femme m'avait tout appris, et je sentis croître en moi une affection singulière. Elle me glissa un sourire, que je lui rendis. Une fois assis, je serrai les mâchoires. J'étais le capitaine, que diable ! Je n'avais pas à me laisser aller à la sensiblerie. Surtout pas maintenant, à quelques jours du départ.

- Bonjour à tous, annonça Lizbeth. Je suis Lizbeth Blund, ex capitaine du Tesaurus, qui a sillonné le Dehors pendant près de vingt-cinq ans. Je connais et je comprends l'état dans lequel vous vous trouvez actuellement, pour l'avoir moi-même vécu.

On sentait sa gorge nouée, sans doute par l'émotion. J'essayai de me mettre à sa place. Après avoir vécu une expérience aussi forte que celle des Corsaires, suivie de près de 20 ans de formation d'un futur capitaine, revenir ici, dans un vaisseau, pour venir s'entretenir avec ceux qui prendraient la relève... il y avait sans doute de quoi s'émouvoir, oui. Lizbeth était une femme douce et attentive, et elle nous regardait tous comme si nous étions ses enfants. Elle savait ce que nous allions vivre. Elle savait tout ce que nous ne savions pas, et sans doute revivait-elle sa propre expérience à travers nous.

- Je ne sais pas comment vous expliquer ce que j'ai à vous dire. J'ai peur de vous faire un discours grandiloquent, ou un exposé magistral. Je ne veux pas de tout ça, je veux juste trouver les bons mots pour que ce que j'ai à vous dire vous touche. Nous verrons bien comment se passera cette entrevue. Mais sachez simplement – je sais qu'on vous l'a répété trop de fois, mais je me permets d'insister – que l'expérience que vous vous apprêtez à vivre est la plus incroyable qu'il soit donnée de vivre à quelqu'un. Ne prenez pas votre départ à la légère. Ne vous dites pas que vous allez faire votre boulot, et tant qu'à faire, le faire bien. Ça ne se résume pas à cela. Vous allez vivre une véritable aventure, non seulement épique car vous allez voir des choses extraordinaires dans le Dehors, des choses dont jamais vous n'auriez soupçonné l'existence, mais ce sera aussi une aventure humaine. Rien n'est jamais simple. Vous allez vous engueuler, certains d'entre vous ne se supporterons pas. Mais vous passerez au-dessus, car c'est le lot d'un Corsaire. Et au-delà des rancunes et des colères, ce que vous allez vivre tous ensemble va vous unir plus que jamais vous n'aurez été uni à quiconque. Vous serez une famille.

On nous avait, effectivement, répété mille fois ce genre de choses. Mais l'émotion qu'y mettait Lizbeth changeait totalement la nature de ce discours.

- Je suis ici avant tout pour répondre à vos questions, reprit-elle, afin de partager mon expérience avec vous. Je vous écoute, donc. Posez toutes les interrogations qui sont les vôtres, j'y répondrai quelles qu'elles soient.

Il y eut un silence de plusieurs secondes, ce genre de silence d'écolier gêné qui n'a rien à dire, et qui vous fait penser que l'entrevue durera moins longtemps que prévu, finalement. Mais j'avais constaté qu'il y avait toujours quelqu'un pour relancer la discussion. Aujourd'hui, ce fut – tiens, comme c'était étonnant – Tokus. Ou Hakks ? Je les confondais, à vrai dire. Enfin, il fallait que ce soit l'un d'eux, forcément.

- Bien l'bonjour, je m'appelle Hakks.

Il fit une petite révérence ridicule, qui fit sourire Lizbeth.

- Bon, vous dites qu'on sera une famille, mais on peut bien se permettre un petit inceste de temps en temps, non ? Parce que bon, faut pas déconner, on reste des hommes quand même.

Cette remarque, stupide, il faut le reconnaître, eut cependant le mérite de provoquer un grand éclat de rire collectif et de détendre l'atmosphère.

- Tu n'as pas idée du bordel que ça a été, sur mon vaisseau, répondit Lizbeth, souriante. Nous étions quatre femmes à bord, et en une vingtaine d'années, il se passe beaucoup de choses, il ne faut pas compter sur des couples qui durent du début jusqu'à la fin. Toutes les femmes ont eu au moins trois hommes différents. Ça a été un des principaux sujets d'engueulades, mais en même temps, des relations privilégiées comme jamais il ne m'avait été donné de vivre. Et, si je puis me permettre au passage un petit conseil aux femmes, en général, être l'amante du cuisinier apporte l'avantage d'avoir un petit plat cuisiné rien que pour soi de temps à autre, et je sais de quoi je parle. Pensez-y, c'est non négligeable.

Nouvel éclat de rire, surtout les filles, et Beo qui semblait assez satisfait de la remarque de Lizbeth.

J'imagine qu'il était nécessaire de commencer par cela pour détendre un peu tout le monde, le fait est que, suite à cette intervention de Hakks, les questions – sérieuses, cette fois – fusèrent dans tous les sens, à vous en faire tourner la tête. « Qu'est-ce qui est le plus difficile ? Comment gérer les coups durs ? » ; « Y'a des bestioles dangereuses Dehors ? » ; « Est-ce qu'on a le droit à des ''pauses'' de temps en temps ? » ; et tellement d'autres, je serais absolument incapable de les restituer toutes.

Je connaissais déjà la plupart des réponses, car Lizbeth m'avait énormément parlé de son expérience durant mes années de formation. Malgré tout ce que j'avais déjà appris, j'avais la terrible sensation de n'être pas encore prêt.

L'entrevue dura plusieurs heures, durant lesquelles je vis celle qui avait été comme ma mère pendant toutes ces années transportée par ses propres souvenirs, qu'elle nous livrait à présent. C'était un échange très singulier, et je voyais dans les yeux des autres Corsaires un intérêt tout particulier. C'était déjà voyager que de l'écouter raconter, et elle avait une divine façon de conter les aventures qu'elle avait vécu à bord du Tesaurus. Je me sentis fier comme jamais d'avoir été formé par Lizbeth. Ce qu'elle réussit, durant ces quelques heures, était non négligeable : elle gagna l'estime et le respect de tous les Corsaires, par sa simple humanité, sa douceur, sa fermeté et sa façon de nous faire partager son vécu. Je me jurai d'arriver un jour à en faire de même.

Je voulais lui faire honneur. Qu'on n'entende jamais dire que le capitaine de la Nébuleuse était un bon à rien !


[Täher] Cette femme m'avait époustouflée. Elle avait une prestance, une aisance et une sensibilité incroyables, si bien que nous avions tous été touchés par ce qu'elle avait raconté. J'avais reconnu dans son regard cette étincelle farouche que seuls possédaient ceux qui était animés par la passion. Lizbeth était d'entre eux. Passionnée, je l'étais moi aussi. Mais encore si jeune, inexpérimentée, comme une graine enfouie dans la terre, attendant son heure pour se déployer.

J'avais encore dans la tête des phrases de l'entrevue en vrac, qui ondulaient et faisaient écho dans mon esprit, si bien que je ne pouvais guère me concentrer sur autre chose. Ces longues heures de discussion avec l'ex capitaine du Tesaurus avait réveillé en moi des centaines de petites voix, soulevé bon nombre de questions, généré beaucoup d'espoirs, d'attentes, d'idées, qui étaient comme des légions de petites bestioles infiltrées dans mon crâne, et qui y foutaient un bordel pas possible. En vérité, j'avais l'impression de m'être réveillée. Pour résumer la chose en un mot ( bien qu'elle me semblât tout à fait inexprimable ) : l'entretien avait tout concrétisé, et je commençai tout juste à réaliser que j'allais vivre une expérience hors du commun. Je crois d'ailleurs que personne, jusqu'à présent, ne se rendait bien compte de ce qui nous arrivait à tous.

« On ne se rend jamais compte », avait dit Lizbeth tout à l'heure, « jusqu'à ce que les moteurs du vaisseau démarrent, on ne se rend pas compte que l'on part. C'est bien trop énorme, un cerveau humain ne peut pas concevoir une telle chose dans son intégralité. Et puis une fois Dehors, une fois que l'on découvre les arbres si grands qu'ils semblent défier le ciel, les créatures étranges, les montagnes vertes et brunes, les tempêtes et la fureur du ciel... là, on commence à réaliser ». Cette phrase, en particulier, avait exacerbé mon désir d'évasion, et je ne souhaitais à présent plus qu'une chose : partir, au plus vite.

Quant aux autres, il suffisait de les regarder pour comprendre qu'il en était de même pour eux. Nous étions tous très différents, et cela allait sans doute poser beaucoup de problèmes par la suite. Mais s'il y avait une chose qui nous unissait tous, c'était bien celle-là. Le goût de l'inconnu, la quête de l'incroyable.


[Beo] – Alors, convaincante, hein, la Tutrice de Nabion ?

Jinko me répondit par un vague « mmmh », sans doute n'écoutait-il que d'une oreille.

- J'espère que les d'moiselles écouteront son conseil, par rapport à une potentielle relation avec le cuisinier ! fis-je en riant. D'ailleurs, je suis bien d'accord avec elle, y'a pas meilleur plan, et je suis prêt à les bichonner, c'est ça sûr.

Jinko sourit, mais semblait toujours perdu dans ses pensées. Celui-là alors ! Bah, je ne pouvais pas lui en vouloir, c'est qu'elle nous avait tous retournés, la Lizbeth, avec ses racontars. Elle m'avait même fait oublier la faim qui me tiraillait le ventre, et c'était pas peu dire. Mais bon, comme les estomacs ne pouvaient jamais attendre bien longtemps, juste après l'entretien, j'étais allé en cuisines où je me trouvais actuellement avec Jinko. Avec ces longues heures de discussion, j'avais pris du retard sur le repas de midi moi ! Le bonhomme avait donc accepté de me filer un coup de main pour bricoler un plat à la va-vite ( ce qui ne veut pas dire bâclé, parole de Beo ! ).

- Bouse ! m'exclamai-je lorsque je laissai échapper de mes mains une énorme casserole en métal, qui fit un bruit retentissant lorsqu'elle tomba sur le sol.

Jinko la ramassa d'un geste nonchalant, la reposa sur la table, et me regarda dans les yeux, semblant enfin sortir de sa transe.

- Beo ?

- Ouep ? fis-je en découpant d'épaisses tranches de viande dans l'énorme cuisseau que j'avais décroché du mur.

- C'est comment, d'avoir un Tuteur ?

Je m'arrêtai un instant de couper et me retournai vers lui.

- Eh ben, ça te travaille tout ça ! Faut pas que tu t'en fasses Jink', c'est pas parce que tu n'as pas reçu la même formation que les autres que ça fait de toi quelqu'un de différent.

Il ne semblait pas être convaincu par mon explication. Je lui souris et lui expliquai donc plus en détails.

- Tu sais, pour moi ça a pas été tout à fait la même chose. J'ai commencé ma formation très tard par rapport aux autres : j'avais 11 ans. Ç'a été un coup de bol tu peux me croire, ils n'avaient trouvé aucun môme avec suffisamment d'ambition pour s'embarquer dans une formation de plusieurs années. Quand ils m'ont trouvé, moi, avec ma bedaine et mon amour de la bonne bouffe, ils m'ont pris, malgré mon âge un peu plus avancé que les autres. Du coup, j'ai quitté le foyer familial plus tard, et mes parents ont eu le temps de jouer leur rôle auprès de moi. De m'éduquer, de me donner ce dont j'avais besoin... de me bâtir pour la vie, quoi. Très sérieusement, je pense que ça fait une grande différence avec tous les autres qui sont partis alors qu'ils n'avaient que 5 ou 6 ans. C'est à c't'âge là que c'est fragile, un môme.

Je marquai un temps d'arrêt, coupai encore quelques tranches et reprit mon explication.

- Mais un Tuteur, dans tous les cas, prend forcément la place de tes parents, d'une certaine façon. Tu le vois tous les jours, pendant plusieurs années. Il t'apprend la discipline dans laquelle tu dois progresser jusqu'à exceller, mais il t'apprend aussi les choses de la vie. C'est pour ça que les Tuteurs sont des personnes aussi importantes dans la vie de tous les Corsaires. C'est plus qu'une relation de prof à élève. Il y a une forme d'amour très intense dans cette relation.

Jinko acquiesça, indiquant qu'il comprenait.

- Il était comment, ton Tuteur, à toi ?

Je souris. C'était toujours un plaisir de se replonger dans ces souvenirs, même si je savais que tout cela était définitivement révolu !

- Il s'appellait Bali. D'ailleurs, il s'appelle toujours Bali, je ne sais pas pourquoi je parle au passé. Mais j'ai l'impression que c'était dans une autre vie, tout ça, alors je vais continuer à l'exprimer comme ça si tu veux bien. Bali, donc, c'était un gars particulier, tu peux me croire. Tu l'aurais aimé. Quand je suis entré en formation, il avait déjà la soixantaine bien tapée, et il en paraissait dix de plus. Un petit vieillard, de ceux qui refusent de se servir d'une canne parce qu'ils revendiquent le fait qu'ils sont encore jeunes dans leur tête !

Le simple fait de parler de Bali me fit rire, et un large sourire fendit le visage de Jinko, lui aussi.

- Il avait une de ces dégaines ! On aurait dit un vieux sage, avec sa barbe étrange, presque lisse, qui lui tombait jusque sur la bedaine. Et ses yeux en demi-lune qu'il avait à demi-clos, jamais complètement ouverts, ça lui donnait un air espiègle... Sans compter qu'il avait toujours le sourire, ce vieux là. Mais alors, par contre, il était complètement frappé ! C'est ça que j'adorais. Il a passé la plus grande partie de sa vie à rire, j'crois qu'on peut le dire sans exagérer. Toujours une petite remarque stupide, toujours un petit trait d'humour, dans n'importe quelle situation. Qu'est-ce qu'il était loufoque, ce bonhomme... C'est lui qui m'a appris à rire et à profiter de chaque moment que la vie nous offre.

____Jinko me regardait. C'était de l'attendrissement que je voyais sur son visage, ou je me trompais ?

- Il n'avait jamais été Corsaire, mais il avait travaillé dans un restaurant toute sa vie, en tant que cuisinier, alors tu parles s'il avait de l'expérience ! C'était un pur génie. Tu pouvais lui donner n'importe quel plat, il trouvait toujours une épice, une sauce, une herbe pour l'accompagner et ainsi transfigurer complètement le goût et l'allure de la nourriture. Il savait par cœur quels étaient les goûts qui se mariaient bien ensemble, les vertus de chaque plante, les temps de cuisson pour chaque ingrédient... Il réussissait aussi bien les plats que les pâtisseries... Un génie, tout simplement. Il m'a transmis son amour du goût, même si j'm'en sors sans doute pas aussi bien que lui !

Je ris en regardant la casserole dans laquelle j'avais mis à rissoler la viande, accompagnée de quelques herbes d'assaisonnement, et l'énorme marmite dans laquelle réchauffaient les restes de la soupe de la veille. Ben dis donc ! Si Bali me voyait ! Aujourd'hui, on pouvait pas dire que ça allait être de la grande cuisine.

- J'aime bien t'entendre parler de lui, en tout cas, fit Jinko.

Je me tournai vers lui, interloqué par sa remarque.

- Ha ? Eh ben écoute mon gars, merci. C'est pas trop descriptible, ces choses là, mais y'en a d'autres à bord qui t'en parleront bien mieux que moi.

- Non, je veux dire, tu as une façon d'en parler qui fait que tu transmets beaucoup de choses à celui qui t'écoute. Je trouve ça appréciable.

Un bon gars, ce Jinko, je l'aimais bien. Pas un crétin, et une certaine sensibilité en plus de ça, dis donc ! Surtout que, même si j'aurais pas osé avouer ça, ça me touchait, ce qu'il disait. Je lui adressai un large sourire, lui octroyai une tape amicale sur l'épaule et le rappelai à la tâche.

- Allez, aide-moi à mettre la table, y'a des tas d'estomacs vides qui crient famine dans la pièce d'à côté.


[Lao] – De corvée vaisselle ! Mais dis donc, c'est pas le travail des mousses, ça ? s'exclama Elke, le sourire aux lèvres.

Elle souleva quelques rires ( excepté Jilal, qui émit une sorte de grognement ), qui finirent par s'évanouir dans le cliquetis des couverts et des plats qui s'entrechoquaient. Elke, Jilal, Drizzt et moi-même avions été recrutés pour la vaisselle, ce qui n'était pas une mince affaire, mais hélas nécessaire.

Je me fis la réflexion que si n'importe qui d'autre avait fait la remarque qu'Elke venait d'exprimer, cela aurait sans doute été pris pour du mépris vis à vis des mousses. Sortant de la bouche d'Elke, que nous avions tous déjà deviné comme étant une femme joviale et ouverte d'esprit, ces mots ne pouvaient assurément pas être pris au premier degré. C'était ainsi. Il était des choses que certaines personnes pouvaient se permettre, d'autres pas. Comme quoi les étranges petits mécanismes qui opèrent systématiquement dans une collectivité commençaient à se mettre en place entre nous...

Seul Jilal semblait pour l'instant être réfractaire à ce processus. J'avais observé à table qu'il se soustrayait volontairement des bavardages, excepté de temps à autre pour pousser un ou deux grognements, après quoi il retombait aussi sec dans son mutisme. Je ne m'intéressais pas à lui plus qu'à un autre, bien entendu, simplement il était le seul qui semblait désireux de rester à l'écart de tout type de contact avec qui que ce soit. Il y avait un peu de cela chez le second – Dript, Driss, quelque chose comme ça – et chez Dink, un des mousses. Mais c'était différent. Eux me semblaient de nature solitaire. Jilal, lui, se mettait à part parce qu'il le voulait, tout simplement.

Ce gars là avait la rage. Ça se sentait, ça se dégageait de tous ses mouvements. Ne serait-ce que cette façon qu'il avait de frotter les plats. Ses gestes étaient brusques, saccadés, incohérents parfois. Je réfléchis silencieusement et tentai de rassembler des éléments de compréhension dans mon esprit. Qu'est-ce qui pouvait provoquer un tel comportement chez quelqu'un ? Il y avait un mal quelque part. Lui, s'il avait eu un Tuteur, ça lui aurait fait le plus grand bien, je pariai là-dessus.

- Lao ? T'es encore avec nous ?

Je tournai vivement la tête vers Elke, qui me tendait un plat propre, sans doute depuis plusieurs secondes. Il n'était pas rare que je décroche ainsi de la réalité, je ne pris donc même pas la peine de m'expliquer.

- Excuse-moi.

Elle m'adressa un sourire, l'air de dire « Ça ne fait rien, mais quand même, tu es un drôle de type ». Je pris le plat et l'essuyai vigoureusement avec le torchon.

Ils me voyaient tous comme un drôle de type, je le savais depuis longtemps. Ma Tutrice aussi trouvait que j'étais un drôle de type, mais elle me comprenait. Ça me suffisait. Je n'avais pas besoin que quiconque ici me comprenne. Me sentir faire partie de cette étrange équipe aux multiples visages me suffisait. Il me suffisait ensuite d'observer, de calculer, de déduire pour me sentir à ma place. J'avais toujours été un observateur, jamais un acteur, quelle que fût la situation dans laquelle je me trouvais. Ma Tutrice m'en avait d'ailleurs parlé, alors que ma formation touchait à sa fin.

« Tu n'as plus rien à apprendre du magnétisme et de ses caprices, Lao. Par contre, tu as beaucoup d'autres apprentissages à mener, maintenant, et des bien plus complexes et plus subtils que ceux des champs magnétiques. La première chose sera la suivante : il faut que tu apprennes à sortir de toi-même ».

Je n'avais pas compris, sur le coup. Me trouvait-elle égoïste ?


[Dink] Trente-sept caisses d'objets artisanaux en tout genre, vint-quatre tonneaux de liqueur d'elcarancia, trente-huits paquetages de tissus et d'étoffes, dix-sept boîtes d'épices. Not' premier chargement de marchandises, en provenance d'Arrakas, effectué cet après-midi avec les autres mousses. Il paraît que c'est rien par rapport à ce qu'on aura à trimballer après, eh, pourtant, les bras ils ont souffert, déjà ! On a bien mis une heure ou deux à balancer tout ça dans les cales ! Et une fois arrivés à Amskin, on leur refourgue tout ça et on récupère tout ce qu'ils ont à nous donner.

Tout à l'heure, on devait en être à la moitié du chargement, j'ai fait tomber une caisse de babioles sur le pied d'la petite Lazuli. Un accident, j'lui ai dit que c'était un accident, d'ailleurs c'est vrai, jamais je ferais ça volontairement, moi. Elle a même pas crié, la jolie. Pourtant, ça se voyait qu'elle avait mal. Les larmes au coin des yeux. Bah elle a pas bronché, elle a bafouillé deux trois mots et elle a recommencé à travailler. Une fois qu'on a fini le boulot, le second a dit qu'il allait regarder ce qu'elle avait, j'espère que je lui ai pas broyé les os du pied. Elle f'ra pas long feu, je pense pas, mais au moins c'est pas une chialeuse, et ça mérite le respect. Ça m'aurait emmerdé, d'ailleurs, de bosser avec une chialeuse.

On devrait jamais se plaindre, nous autres. Faut faire avec ce qu'on a, et puis c'est tout, c'est déjà pas mal. Les gens qui geignent trop, ils passent à côté de l'essentiel. C'est ce qu'on m'a appris, depuis tout gosse. Tu bosses, et tu te la fermes.
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