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Lecture d'un chapitre



Lecture du chapitre 10
Nom de l'œuvre : Les Racines Magnétiques Nom du chapitre : Le vert et le noir 2/2
Écrit par Kailianna Chapitre publié le : 12/11/2011 à 00:28
Œuvre lue 16997 fois Dernière édition le : 12/11/2011 à 00:28
[Lazuli] Piloter la Nébuleuse dans ces montagnes était bien plus ardu que ce à quoi nous avions eu affaire dans les plaines. Le col d'Echinée, dans lequel nous nous étions dégagé, assurait un passage à peu près dégagé entre les sommets et les crêtes, mais il fallait parfois faire des prouesses pour se faufiler dans d'étroits passages sans s'accrocher aux arrêtes des montagnes, comme s'il s'agissait d'un parcours d'obstacle. Une petite boule d'angoisse m'enserrait l'estomac tandis que j'étais là, sur le pont, à effectuer mes tâches quotidiennes. La Nébuleuse elle-même semblait totalement inadaptée à ce milieu, bien trop lourde et imposante. J'aurais aimé, l'espace d'une traversée, devenir un de ces étranges volatiles au bec acéré qui dominaient la montagne de leurs longues ailes couleur charbon.

Nous rencontrâmes un premier problème en début d'après-midi, lorsque la Nébuleuse, engagée dans un chemin trop étroit, se prit les voiles dans un appendice rocheux émergé du flanc de la montagne pour qui sait quelle bizarrerie de la nature. Il fallut plusieurs heures pour dégager le vaisseau, qui semblait pris dans un étau. Il était impossible de reculer ou d'avancer sans qu'une quelconque partie de la Nébuleuse en fut détériorée, broyée par les dents noires du massif. Nous dûmes replier toutes les voiles de la proue, et déployer des trésors de délicatesse et de pilotage pour sortir de ce traquenard sans rien endommager. Nous nous en sortîmes finalement avec pour seule blessure de guerre une longue et profonde estafilade sur le premier mât, qui heureusement continua à porter les voiles et le nid-de-pie sans fléchir.

Je ressentais depuis une poignée de jours un léger malaise, sans trop savoir à quoi il était dû. Je ne désirais qu'une chose : pouvoir rentrer dans ma cabine, au terme des longues journées de navigation, m'y retrouver seule et me laisser aller au gré de mes pensées, me balader dans mon univers mental. Mais il était impossible à bord d'être seul plus d'une poignée de minutes. Le rythme des journées et les cabines communes empêchaient d'entretenir une réelle intimité, et celle-ci commençait à me faire cruellement défaut. J'en étais plusieurs fois venue à m'enfermer dans une des cabines des sanitaires, pendant une heure ou deux, simplement pour avoir le loisir d'être invisible aux yeux des autres et de m'isoler un peu de cette hyperactivité qui était le lot quotidien à bord de la Nébuleuse. Pourquoi avoir conçu le vaisseau ainsi ? Cela m'échappait totalement. On ne pouvait compter sur un équipage uni si chacun de ses membres ne disposait pas également d'un espace à soi. Ce manque de privacité générait chez moi une foule d'émotions pressantes qui me déstabilisaient. J'avais toujours manqué d'équilibre, et les conditions de l'équipage n'arrangeaient pas les choses. Le conflit permanent que j'avais toujours dû livrer avec moi-même n'en devenait que plus complexe. Pour la première fois depuis que notre aventure avait commencé, je désirai m'en écarter. Être partout, mais pas ici. Me défaire de cette pression que je ressentais, indiciblement, peser sur mon esprit.

Je croyais que les choses allaient changer. Je croyais que de m'engager pour cette longue errance à travers le Dehors allait être un renouveau, une autre chance de repartir de zéro. Je croyais que j'allais me réinventer.

Cela faisait maintenant plus de deux semaines que j'avais découvert la Nébuleuse et tout son équipage, et je me devais de constater que je n'avais atteint aucun de ces objectifs implicites que je m'étais fixés mentalement. J'étais toujours la même Lazuli, tourmentée par le regard des autres, incapable de trouver ma place au sein d'un groupe et rongée par des remords et des doutes sur ma propre condition. C'était un conflit intérieur que je menais depuis de nombreuses années. Le schéma était toujours le même. Il y avait cette petite bestiole sournoise qui vivait en moi, et qui me privait de tous mes moyens dès qu'il me fallait vivre en société. Je le savais, pourtant, que j'avais des choses à dire, des avis, des idées à exprimer. Mais c'était comme si mes mots refusaient de franchir les imposantes barrières érigées par mon esprit. Comme j'aurais voulu pouvoir les détruire, ces barrières. J'avais un tel besoin de me sentir intéressante aux yeux des autres, qu'il m'était impossible de me détendre lorsque je me trouvais entourée de plusieurs personnes. Je réfléchissais alors, beaucoup trop, comme toujours, je me distordais l'esprit dans toutes les dimensions possibles et imaginables pour essayer de parler des bonnes choses, celles qui intéressent les autres, celles qui font mouche. Proférer les phrases qui attireraient sur moi des regards qui voudraient dire « tiens, celle-là, elle sait réfléchir ». Et je réfléchissais tant, à quoi dire, comment, et pourquoi, que cela brisait toute spontanéité, et m'empêchait de rire, de partager, de m'enthousiasmer. Je ne savais pas parler avec conviction. Je ne savais pas parler tout court. L'énorme besoin de reconnaissance que j'avais m'empêchait d'être moi-même, quelles que soient les circonstances. Et puis les autres m'impressionnaient. J'avais un genre de respect inné pour eux tous qui dé-crédibilisait toutes mes prises de parole. Pourquoi ouvrir la bouche, petite Lazuli, quand tous ces gens sont là autour de toi, ces gens qui savent de quoi ils parlent et qui font bien plus partie de ce monde que toi ?

Parfois, j'arrivais à m'y faire et à vivre avec sans trop me torturer. Et puis, certains jours, comme aujourd'hui, j'avais juste envie de me rouler en boule dans un coin et d'oublier totalement le monde extérieur.

Il m'aurait fallu quelque chose. Une carapace. Elle m'avait toujours fait défaut, celle-là. Je n'avais jamais appris à me protéger.



[Nabion] CARNET DE ROUTE : Jour 9

Nous continuons donc la traversée des montagnes, commencée hier matin. Ce n'est pas une mince affaire, et je crois que nous n'étions pas encore assez expérimentés pour nous engager d'emblée dans ce genre de terrain, qui semble miné de pièges pour nous qui n'avons connu jusqu'à présent que les vertes plaines qui bordent Arrakas. Ce terrain accidenté est difficile d'accès, et hier soir Täher, notre pilote, a dû continuer à manœuvrer le vaisseau jusqu'à près de quatre heures du matin, ne trouvant pas de replat assez stable et assez imposant pour amarrer la Nébuleuse. Elle a donc du continuer à piloter dans la nuit noire, la lumière des projecteurs solaires comme seule aide. Son état de fatigue était tel lorsqu'elle est allée rejoindre sa couchette que nous avons repris la traversée vers midi, ce matin, afin de lui laisser le temps de se reposer.

La route est longue jusqu'à Amskin, nous commençons à nous en rendre compte. Une fois que nous serons sortis des montagnes, il nous restera encore trois semaines de navigation. Si certains se montrent très enthousiastes à l'idée de s'engager encore plus profondément en territoire inconnu, je crois que d'autres sont assez impressionnés par le Dehors et se passeraient bien de cette longue traversée qu'il paraît de plus en plus utopique d'effectuer sans que ne surviennent d'incidents.
Cependant l'équipage tient bien le coup et de façon générale, et la motivation est toujours présente. Nous faisons cap vers Amskin, et comptons bien arriver à bon port.



[Neith] Ça faisait deux jours, maintenant, qu'on traversait les montagnes. Elles semblaient interminables, et la navigation était considérablement ralentie par les nombreuses précautions que nous devions prendre afin d'éviter toute complication. Jamais encore la Nébuleuse n'avait avancé si lentement. Elle semblait rechigner à passer ce col, qui était pourtant notre seule option. Une fois qu'on s'y était engagé, mieux valait ne pas tourner les talons.

Moi, depuis deux ou trois jours, on ne pouvait pas dire que je croulais sous le travail. Oh, bien sûr, une petite transmission de temps en temps, mais rien de bien important. Je passais donc la plus grande partie de mes journées à aller et venir sur le pont, à discuter avec le reste de l'équipage, et à rendre visite à la pauvre Täher, qui était plus agrippée que jamais à son gouvernail. J'aurais tellement aimé pouvoir lui faciliter la tâche, et endosser une partie de son travail ! Mais on m'avait pas formé pour ça, moi, malheureusement. Je la voyais tous les jours extrêmement concentrée sur la navigation, d'autant plus que celle-ci devenait difficile dans les montagnes, tandis qu'elle lui demandait beaucoup moins d'efforts lorsque nous nous trouvions encore dans les plaines. J'essayais donc de lui rendre régulièrement visite afin d'enjoliver ses journées. C'était devenu comme un petit rituel. J'allais la voir dans la cabine de pilotage, je lui jouais des airs de kabutons, on parlait de tout et de rien. Et elle, trop concentrée qu'elle était, à étudier le terrain et à manipuler le vaisseau, elle ne se rendait pas compte que mes yeux la dévoraient, que chacun de ses gestes me faisaient frémir et que ses sourires me faisaient fondre de l'intérieur. Comme j'aimais la regarder. Täher avait beau être la plus jeune, elle était pour moi la plus vivante et la plus exceptionnelle de tous à bord. J'aimais sa détermination, j'aimais sa façon de froncer les sourcils et de crisper les mâchoires lorsqu'elle était en désaccord avec quelqu'un, j'aimais sa capacité à ne jamais se plier à l'avis de la majorité, à penser librement. A être délibérément elle-même. Cette femme me rendait dingue, comme aucune autre avant elle. Et chaque jour je la voyais avec délice céder du terrain, s'ouvrir un peu plus à moi, rire et se confier.

Comme j'espérais qu'elle se laisserait aller, et qu'elle finirait par s'en remettre totalement à moi.

Je poussai un soupir. J'étais là, assis seul sur le pont, mon kabuton sanglé sur mon torse, à jouer des mélodies qui se voulaient aussi étranges que l'univers qui nous environnait. Il faisait déjà nuit noire depuis quelques heures, et seule la lumière blafarde des projecteurs solaires éclairait les montagnes déchiquetées, ce qui avait pour effet de décupler les ombres autour du vaisseau et le rendu était particulièrement surréaliste. On se serait cru dans un autre monde. Noir sur noir.

- Hé, Neith !

Je me retournai vivement, surpris. C'était Jinko. Je souris.

- Mon insomniaque préféré, le targuai-je. Encore des problèmes pour dormir ?

- Eh oui, je suis fait comme ça... fit-il en souriant. Tiens, je t'ai ramené un truc.

Il posa sur la rampe en face de moi une tasse fumante.

- Qu'est-ce que c'est ? m'enquéris-je.

- Aucune idée, c'est encore un truc à Beo. Mais c'est chaud, et ça requinque.

Je trempai mes lèvres dans le breuvage. C'était âpre et amer, et de toute évidence alcoolisé. Dans tous les cas, ça faisait sacrément du bien.

- Et toi, qu'est-ce que tu fiches sur le pont ? me demanda Jinko. Réveillé par Beo et ses ronflements, encore une fois ?

- Non, non. Je suis simplement venu jouer quelques airs aux montagnes, parce que je suis un poète à l'âme torturée, fis-je en riant.

Jinko sourit et m'encouragea à lui jouer quelque chose. Je m'exécutai, continuant, sur les mêmes tons qu'auparavant, à faire danser ces mélodies étranges qui se réverbéraient sur les parois des montagnes. Les claquement du kabuton se mariaient étonnamment bien avec ce paysage stérile, et c'était pour moi un délice que de jouer ces quelques morceaux décousus. J'avais l'impression de donner une voix aux montagnes.

- Oh, regarde ça là-bas ! s'exclama Jinko au bout de quelques minutes.

Je cessai immédiatement de jouer et me concentrai sur la direction que pointait son doigt. Tout d'abord, je ne distinguai rien, puis fini par apercevoir une petite silhouette, un peu plus loin, qui grimpait sur une arête et défiait la gravité de façon ahurissante. C'était une petite créature qui devait faire la moitié de la taille d'un humain, dont les jambes et les bras étaient curieusement longs, et qui se mouvait avec une vélocité et une agilité impressionnantes. Le pic était abrupt et était, d'un point de vue humain, la promesse d'une mort certaine pour quiconque se serait risqué à l'escalader, mais cette créature au pelage d'un brun sombre semblait se ficher éperdument du danger. Nous la regardâmes quelques minutes, avant qu'elle ne disparaisse, avalée par l'obscurité.

- Woah... fit Jinko avant d'avaler une longue gorgée de son breuvage. Je me demande ce que c'était que ça.

- Ça, faudra le demander aux deux guignols, répondis-je.

Jinko ne fit aucun commentaire. Je savais pourtant qu'il les appréciait, et que la petite pique que je venais de lancer aux deux chasseurs aurait pu l'irriter, pourtant il ne dit rien et se garda de faire toute remarque.

C'était quelque chose que j'appréciais chez Jinko. C'était un type simple, qui avait une certaine intelligence sociale et ne s'énervait jamais pour des choses futiles. Ce qui n'était pas mon cas, et j'en étais conscient. J'avais toujours eu un peu de mal à canaliser ma hargne et ma colère, et en ce qui concernait les chasseurs, je n'aurais su dire pourquoi, mais il m'était impossible de contenir l'espèce de mépris qu'ils m'inspiraient. Je remerciai mentalement Jinko de ne pas m'en faire le reproche.

- Ouais, finit-il par dire. C'est tout de même dingue, qu'il y puisse y avoir de la vie ici. Comme quoi on n'a pas les mêmes besoins fondamentaux pour vivre. Si ça se trouve, les plaines qui nous semblent paradisiaques seraient pour lui un enfer et il n'y tiendrait pas plus de quelques jours.

- Et si ça se trouve, lui-même est en train de se dire qu'on est quand même de drôles de bestioles, remarquai-je en souriant.

Jinko me regarda d'un air incrédule et partit dans un grand éclat de rire, dans lequel je le rejoignis rapidement. Peut-être étaient-ce les effluves de l'alcool qui nous faisaient rire ainsi, ou tout simplement l'incongruité de la situation. Toujours est-il que c'était délicieux d'être là, cachés par le manteau de la nuit, partageant ces quelques moments avec complicité.

- Qu'est-ce que ce sera, la première chose que tu feras en arrivant à Amskin ? finit par me demander Jinko, lorsque nos rires se furent apaisés.

- Retourner me balader dans le Dehors ! répondis-je aussitôt en souriant.

- J'me demande comment elle est, cette ville. Tu te rends compte que ce sera la première fois qu'on mettra le pied dans une autre cité-bulle qu'Arrakas ? J'ai du mal à me représenter une ville qui soit différente. Peut-être même que les gens seront différents, qu'ils auront d'autres coutumes, d'autres façons de vivre, d'autres tronches ! On ne sait pas.

- J'sais pas. Mais peut-être que ça nous faire un sacré bien de découvrir autre chose.

- Ouais.

Il se tut, l'air profondément plongé dans ses pensées.

Qu'est-ce qui se passait dans sa tête ? J'aurais bien aimé le savoir. Il avait l'air d'être parti très loin. D'ailleurs, il y avait tout à parier que chacun des quatorze membres de notre équipage nourrissait son esprit de pensées bien singulières. Comment pouvait-il en être autrement, dans les conditions auxquelles nous étions soumis ?

Encore une fois, j'étais pris de cette bouffée de chaleur, cette émotion caractéristique d'un homme qui se rend compte qu'il est à l'aube de vivre des choses qui sortent de l'ordinaire.



[Dink] Au matin du dixième jour, on est arrivés à un endroit étrange. Quoique, c'est vrai que depuis le départ, on en voit, des choses étranges. C'est dur à assimiler pour nos p'tites têtes embrumées. On est des gringalets, des citadins qui viennent de sortir de leur trou, et moi ça me sidère à chaque fois qu'on tombe sur un coin où la nature a fait des folies. Je trouve ça pas naturel. Pourtant c'est le Dehors qui a fait ça. Et en fin de matinée, on survolait une zone un peu turbulente. Le vaisseau arrêtait pas de trembler, je crois que s'il aurait pu parler il aurait dit « bon, y'en a marre, je me barre ». On a du faire pas mal d'efforts pour pas aller se fracasser sur les rochers. C'est les perturbations magnétiques caractéristiques de l'altitude, qu'il a dit, le Lao. Moi je comprends pas tout, dans ces histoires. Je regarde, ça me suffit.

Et puis tout d'un coup, ça s'est calmé, même les moteurs ils ont baissé un peu leur petit brouhaha quotidien. On est arrivés dans un endroit un peu plus dégagé, et là tout à coup, on a vu l'horizon. Ça voulait dire que la traversée des montagnes était bientôt terminée, Nabion a dit qu'on sortirait ce soir si y'avait pas de d'incident. Pas trop tôt ! C'était joli, d'ailleurs. De voir se dégager un peu le paysage derrière tous les rochers noirs. Et puis, surtout, un peu plus loin en contrebas, y'avait un lac. C'était comme une énorme flaque d'eau contenue dans une cuvette naturelle formée par la roche. L'eau était très bleue, et y'avait là quelques animaux bizarroïdes qui s'abreuvaient. Ils ont tous décampé dès qu'ils ont aperçu le vaisseau. Évidemment, tout le monde s'est précipité sur le pont en montrant le petit lac du doigt. « Wow, regardez ! » ; « C'est magnifique ! » ; « Qui aurait cru qu'on trouverait de l'eau dans ces putains de montagnes ! ». Tout émoustillés qu'ils étaient, les autres. Même le capitaine, je crois que ça lui a plu. Alors il a décidé qu'on amarrerait le vaisseau là et qu'on mangerait au bord du petit lac.

On est tous descendus, et c'est pas rien de le dire. C'était presque de l'escalade pour arriver jusqu'au lac, fallait trouver un chemin jusqu'à la cuvette, et le Nabot était tout tourmenté, je crois qu'il avait peur que quelqu'un se casse un truc. Il aurait eu l'air malin, tiens, s'il s'était retrouvé avec un équipage incomplet dès les premiers jours de navigation. Mais on a fini par tous arriver entiers jusqu'au bord du petit lac. Beo avait amené de quoi, et on a mangé là. Les gens distribuaient des sourires de toutes parts. C'est vrai que ça fait du bien, de se dégourdir un peu les jambes.



[Nabion] Le paysage est incroyable. Rien que pour cette petite oasis qui nous est apparue comme un miracle au cœur de ce terrain hostile, ça valait la peine de passer par les montagnes. On est là, tous assis au bord du lac, sur la roche noire et incroyablement lisse, et on surplombe d'immenses plaines qui sont à quelques kilomètres plus avant. Les autres boivent, mangent et rient comme s'ils redécouvraient le plaisir simple d'être là, tous ensemble dans ce milieu extrême. L'eau du lac est incroyablement bleue. La roche a pris au fil des années cette forme de cuvette qui lui permet de recueillir l'eau de pluie, et sans doute personne encore n'est-il venu souiller cet espace pur et enchanteur.

Hakks, Täher et Elke ont même tenté une petite baignade, mais ne sont pas restés bien longtemps dans l'eau. Elle est sûrement monstrueusement froide. A cette altitude, ça paraît normal. Depuis le début de la traversée des montagnes, plus personne ne sort sans un bon vêtement qui tient chaud au corps. Alors de les voir comme ça, courir dans l'eau et hurler en s'aspergeant, c'est un drôle de spectacle. C'est pas moi qui me risquerait à en faire de même. Le froid, ça ne me réussit pas.

Les plaines que l'on aperçoit à l'horizon s'annoncent bien différentes de celles que nous avons traversées auparavant. Tandis que les plaines d'Arrakas étaient luxuriantes, vertes et presque uniquement constituées d'herbes folles, l'herbe est là-bas plus rase, et il y a beaucoup plus de végétation, dont nous discernerons mieux les formes et les excentricités une fois sur place. C'est un nouveau paysage qui s'annonce, une nouvelle étape de notre traversée et une nouvelle fenêtre ouverte sur l'incroyable diversité du Dehors.

C'est fou comme on réapprend à apprécier les petites choses de la vie lorsque l'on vient de traverser un milieu aussi stérile et hostile. Ça fait plusieurs jours que je n'avais pas vu mon équipage aussi serein et heureux. Je remercie en silence les montagnes, malgré toutes les angoisses qu'elles ont pu m'apporter.



[Elke] Ce que ça fait du bien de se sentir faire partie du monde, de s'arrêter, de le découvrir, de l'examiner sous toutes ses coutures, de l'adopter et de se vautrer dedans.

En réintégrant ma couchette ce soir-là, je me sentais profondément sereine et prête à affronter tout ce que l'avenir nous réservait. Le Sniffleur grimpa sur mon épaule pour venir s'y lover, et je sentis tomber un petit objet dur et froid au creux de mon cou. Je m'en emparai et me hâtai de l'examiner. C'était une petite pierre blanche polie, que mon compagnon sur pattes avait dû chaparder quelque part lorsque nous avions fait une halte dans cette petite oasis.

- Où est-ce que t'as trouvé ça, toi ? fis-je en souriant. Une pierre blanche dans cette montagne toute noire, c'est pas anodin !

- Elke, arrête de parler toute seeeeule, grommela Täher, déjà à moitié endormie.

J'eus un petit rire en la voyant, toute entortillée dans ses couvertures, assommée par le sommeil. C'est qu'elle en avait du boulot, la pauvre !

Je me contentai d'octroyer une petite caresse au Sniffleur qui vint se blottir contre moi, comme à son habitude. J'avais décidément bien fait de récupérer cette petite créature. Plus les jours passaient, plus il m'amusait et je ressentais une singulière affection à mon égard. C'était un petit complice de mes tribulations quotidiennes.

Je m'endormis, la pierre serrée au creux de ma main.



[Hakks] - Tokus, viens vite voir !

L'intéressé grommela et se retourna dans son lit, me tournant ainsi le dos. Conscient qu'il ne tarderait pas à se venger d'une façon ou d'une autre (il était comme ça, le Tokus, il aimait qu'on soit quittes), je n'hésitai qu'une poignée de secondes avant de l'empoigner par les pieds et de le faire glisser de son lit. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, il se retrouva par terre, emmêlé dans ses draps.

- Qu'est-ce qui te prend, bordel, vociféra-t-il, les yeux peinant à s'ouvrir.

En guise de réponse, je lui adressai un sourire ravageur.

- J'espère que t'as une bonne raison pour me tirer du lit comme ça...

- Oh que oui, et tu ferais mieux de te lever en vitesse, sinon tu vas rater quelque chose ! Viens vite voir dehors !

Réticent dans un premier temps, il finit par se lever et, dans ce qui semblait un effort suprême, à tenir en équilibre sur ses jambes. Avec Tokus, je savais bien comment il fallait s'y prendre, faut dire que le bougre mettait une bonne demi-heure à émerger tous les matins ! Aux grands maux les grands remèdes, il m'avait fallu le tirer du lit de façon un peu brutale, mais c'était pour la bonne cause.

J'eus presque à le traîner derrière moi jusqu'au pont, mais lorsque nous arrivâmes et qu'il s'accouda à la rampe, il ouvrit de grands yeux.

- ... Wow !

Il me regarda d'un air interloqué.

- Eh ouais mon vieux ! On est enfin sortis des montagnes ! fis-je en riant.

Je m'étais levé de bonne heure ce matin, et c'est avec délices que j'avais constaté le changement autour de nous. Il avait été annoncé la veille que nous aurions quitté les montagnes au soir, mais nous avions pris un peu de retard et il avait fallu attendre jusqu'à ce matin pour découvrir cette nouvelle tranche de Dehors qui s'offrait à nous.

Juste là, en contrebas, s'étendaient des plaines immenses, où l'herbe rase était d'une étrange couleur orangée ce qui donnait un effet des plus saisissant. Plus impressionnante encore était la végétation environnante. Les arbres qui poussaient là en impressionnantes quantités formaient par endroits de petites forêts verdoyantes, bien que la majeure partie du territoire fût à découvert et aisément observable depuis le vaisseau. Comme si on l'avait mise à nu. Et quels arbres, d'ailleurs ! Il y en avait de toutes tailles et de touts gabarits, mais tous arboraient cette ramification étrange : ils étaient tordus, leurs multiples branches s'entrelaçaient et s'emmêlaient pêle-mêle, formant des nœuds, des courbes et des formes des plus originales. La plupart des troncs eux-mêmes décrivaient des angles si exagérés qu'il était difficile de croire qu'il s'agissait là réellement d'arbres et non pas d'expériences farfelues réalisées par un scientifique fou et laissées là, à l'abandon. Le rendu d'ensemble était totalement insolite.

- Et regarde par-là, voilà ce que je voulais te montrer, fis-je en lui indiquant une direction du doigt.

Tokus se concentra et, encore une fois, fut ébahi par ce qu'il vit.

- Oh ben ça alors ! Me dis pas que c'est...

- Des gouailles ! Eh si, fis-je en souriant.

Les gouailles étaient d'étranges bestioles qui nous avaient tous les deux captivés lorsque nous les avions étudiées. Pas bien grandes, elles mesuraient la moitié d'un homme, voire légèrement plus pour les spécimen les plus développés. Ces créatures étaient bien difficiles à définir. A mi-chemin entre le volatile et le mammifère, leur corps tout entier était recouvert de plumes blanches et brunes, et leurs pattes musclées faisaient penser à celles d'un rat tandis que leurs puissantes ailes rappelaient celles des multiples oiseaux nocturnes qui peuplaient le Dehors. Leur visage était des plus atypiques. C'était une petite boule de plumes sur laquelle on distinguait deux énormes yeux, et rien d'autre. Ces créatures s'alimentaient de la sève de certains arbres, et disposaient donc d'un petit crochet, au niveau du menton, qu'elles plantaient dans le tronc pour ensuite aspirer le précieux fluide. Et enfin était la queue, qui donnait aux gouailles cet aspect si loufoque. Une longue et fine queue, seule partie de leur corps dépourvue de plumes, qui avait de multiples usages. Elles permettaient notamment un meilleur équilibre en vol, ainsi que de s'enrouler autour des branches des arbres et de s'y pendre (c'est ainsi qu'elles dormaient ! Chacun ses goûts, après tout), et surtout, cette queue constituait leur principale arme contre les prédateurs. Sa pointe était en effet un dard redoutable, qui, lorsqu'il perçait les chairs, diffusait un dangereux venin qui avait tôt fait de venir à bout de nombreux prédateurs.

Les gouailles étaient réputées pour leur attitude insolente et moqueuse. Elles se comportaient comme si elles étaient les reines de ce monde et narguaient allègrement tous leurs acolytes sur pattes, allant jusqu'à leur jeter des cailloux au moyen de leur queue (je crois que finalement, c'était là l'aspect qui nous fascinait le plus chez ces animaux. Sans doute aurions-nous été nous-mêmes des gouailles si nous l'avions pu). Espiègles et curieuses par nature, elles étaient inoffensives si l'on ne se montrait pas agressif envers elles mais n'hésitaient cependant pas à user de leur dard lorsqu'elles se sentaient menacées. Et, surtout, c'était une espèce extrêmement rare, que les plus expérimentés ne pouvaient se targuer d'avoir vue que quelques trois ou quatre fois dans leur habitat naturel.

- Génial ! s'exclama Tokus. Le Dehors nous a fait une petite surprise !

- Si Rhéan pouvait voir ça, ajoutai-je en riant au souvenir de notre Tuteur, qui lui aussi entretenait une certaine fascination pour les gouailles et n'avait hélas jamais eu l'occasion d'en voir.

Car c'était toute une petite horde de gouailles que nous pouvions voir en contrebas. Au nombre d'une demi-douzaine, elles étaient en pleine tétée de sève, et se repaissaient grassement, faisant frémir leurs ailes de contentement. L'occasion était tout bonnement incroyable. Jamais je n'aurais pensé en voir un jour, et surtout pas si tôt. Surexcités, nous nous précipitâmes vers le réfectoire pour annoncer à tout le monde la nouvelle. Fallait qu'ils voient ça de leurs propres yeux, tout de même !



[Täher] C'était pour moi une véritable libération de naviguer de nouveau dans de bonnes vieilles plaines, bien que celles-ci n'eurent rien à voir avec celles qui bordaient Arrakas. Enfin, je pouvais m'autoriser quelques pauses, et je pouvais faire décrire à la Nébuleuse de larges virages dans le ciel et accélérer sans avoir cette peur de tous les instants d'aller fracasser le vaisseau contre un massif rocheux ! C'était un véritable délice.

Je me trouvais dans le réfectoire avec tous les autres lorsque les deux chasseurs firent leur annonce. « Vous ne pouvez pas rater une opportunité pareille » avait dit Hakks. « Ces créatures sont extrêmement rares, ça vaut le coup de les voir ! ». Il n'aurait rien dit que ça aurait été pareil. S'il y avait bien une chose qui fascinait tout le monde à bord, c'était la faune du Dehors. Quoi de plus exotique pour nous, qui ne connaissions rien à ce domaine, que les extraordinaires créatures qui vivaient là, tout autour de nous ? C'est ainsi que la quasi totalité de l'équipage se retrouva très vite sur le pont, accoudée à la rampe, à observer en contrebas les gouailles qui était sur le point d'achever leur festin de sève. Quelles curieuses créatures c'étaient là !

Elles semblèrent se rendre compte de l'intérêt que nous leur portions, puisque, très vite, elles commencèrent à déployer leurs ailes et à voler dans notre direction. Quelques « oooh ! » furent poussés dans l'équipage, impressionnés et sans doute un peu angoissés aussi.

- N'ayez pas peur, leur rappela Tokus. Les gouailles sont absolument inoffensives dans la mesure où vous ne vous montrez pas agressifs avec elles. Laissez-les jouer un peu, elles sont moqueuses, mais pas méchantes ! Et surtout, ne soyez pas brusques. Ça pourrait mal finir.

Quelques instants plus tard, les premières d'entre elles posaient déjà leurs pattes sur la rampe du pont et nous regardaient d'un air espiègle. C'était très impressionnant, et c'était la première fois que je voyais un animal du Dehors d'aussi près (autrement que dans mon assiette, bien entendu) ! Elles commencèrent à voleter autour de nous, en poussant des cris aigus qui se rapprochaient étrangement d'un rire humain. Je fus troublée de constater que les créatures n'avaient pas de bouche ni de bec, seulement cette petite pointe tout au bas de leur visage. C'était de là que semblait sortir leurs cris, comme s'il s'agissait d'un instrument de musique.

Neith, intrigué, approcha doucement sa main d'une des gouailles qui s'était posée juste à côté de lui, sans doute dans l'espoir de pouvoir caresser son plumage. L'animal se retourna vivement, et Neith en fut si surpris qu'il sursauta puis trébucha pour s'étaler par terre, déclenchant de nombreux rires parmi l'équipage... et parmi les gouailles elles aussi ! Elles semblaient surexcitées et se mirent à tourner autour de Neith, faisant virevolter leurs queues pour l'examiner sous toutes ses coutures. Elles caressaient sa joue, soulevaient une mèche de ses cheveux, lui tiraient l'oreille... tout cela en poussant des rires étranges. C'était tout bonnement incroyable à voir, et nous étions tous fascinés par le spectacle qui se déroulait sous nos yeux. Les créatures semblaient extrêmement habiles de leur queue, qu'elles pouvaient plier, déployer, tortiller comme bon leur semblait. En un sens, celles-ci semblaient tout aussi fonctionnelles (voire bien plus!) qu'une main humaine.

Elles finirent par se désintéresser de Neith, qui se releva, penaud et rouge de honte, et commencèrent à examiner les autres et à les taquiner, jouant avec eux, les provoquant. J'observai Jilal, qui, tandis que les autres s'amusaient de l'espièglerie des gouailles, semblait vouloir les chasser à grands coups de bras, dérangé par leur présence. Tokus intervint aussitôt et lui somma de se tranquilliser pour éviter tout incident. Jilal obéit de mauvaise foi.

Le pont résonnait était maintenant noyé par la cacophonie des rires aigus et presque humains des gouailles, et l'on n'entendait plus que leurs cris et le chuintement de leurs ailes. Tout le monde semblait émerveillé par ce contact inespéré, et j'arborai moi aussi un large sourire, lorsque, soudain, l'une des gouailles se posa sur mon épaule, ce qu'aucune d'entre elles n'avait encore fait. Je me figeai instantanément, mais compris très vite que celle-ci était sans doute un peu plus curieuse que les autres, et me soumis donc au minutieux examen que la bestiole semblait vouloir mener sur ma personne. Elle toucha mes cheveux, frotta sa tête contre mes mains, se percha sur le haut de mon crâne puis revint sur mon épaule, sembla s'intéresser de très près à mes oreilles... et puis, tout doucement, elle enroula sa longue queue tout autour de ma gorge, de mes épaules et de mon corps, comme si elle cherchait à s'emparer de tout mon corps et à s'unir à lui. Étrangement, je n'en fus nullement affolée. En cet instant c'était comme si la créature me communiquait toutes ses intentions. J'étais elle, et elle était moi. Ce contact m'émerveillait au-delà de l'exprimable. Il me sembla presque voir la gouaille me sourire.

Cela aurait pu continuer ainsi. Mais tout bascula en une seconde.

Sans que je comprenne réellement ce qui se passait, j'entendis une détonation, un cri strident qui résonna horriblement dans mes oreilles, et tombai au sol.



[Jilal] Elles m'inspiraient pas, ces bestioles, avec leurs sales tronches trop sournoises et moqueuses pour être inoffensives. Et tous ces abrutis qui s'en amusaient comme des gosses. J'étais sur mes gardes, moi. Pas question de me laisser amadouer.

Elles jouaient trop. Comme si on était leurs objets. Je sentais monter un sentiment d'insécurité. J'étais donc le seul à réaliser de ce qui était en train de se passer ?

Alors quand je la vis, celle-là, commencer à entortiller sa queue dégueulasse autour de Täher, j'hésitai pas une seconde. Y'avait une perforeuse accrochée au mur à quelques mètres de moi. Je m'en emparai. Et je tirai.



[Tokus] - JILAL PUTAIN ! hurla une voix.

Tout était allé très vite. Qui sait ce qui s'était passé dans la tête de ce crétin de mousse, mais il avait tiré sur la gouaille, qui avait reçu la pointe dans l'aile et avait poussé un hurlement strident. Son dard avait fusé et s'était planté dans l'épaule de Jilal, qui poussa un beuglement rauque avant de s'effondrer au sol. Les gouailles s'envolèrent dans une cacophonie de cris sinistres qui résonnèrent encore longtemps sur le vaisseau, qu'elles laissèrent tapissé de quelques plumes arrachées dans la précipitation des événements.

Une sourde colère m'envahit. Bordel, il n'avait donc rien dans le crâne ? Je me ruai sur lui, prêt à lui décrocher la mâchoire si cela avait pu réparer son acte insensé.

- Qu'est-ce qui t'as pris bordel ?! Réponds ! hurlai-je en lui assénant un coup de poing dans l'estomac, aveuglé par la colère.

Jilal poussa un râle et tressauta, courbant tout son corps pour encaisser le choc.

- Il allait faire du mal à Täher... il fallait que je l'abatte... parvint-il à marmonner entre deux spasmes.

- C'est pas possible d'être aussi con putain ! beuglai-je, insensible à ses grognements de douleur. Je vous avais prévenus, bordel ! Je vous avais prévenu !

- Tokus, arrête ! fit Hakks en s'emparant de mes bras, entravant tous mes mouvements. Tu t'occuperas de ça plus tard ! La gouaille l'a piqué, il faut agir vite.

- Rien à foutre ! Ce bâtard se rend même pas compte de ce qu'il vient de faire, vociférai-je.

Hakks me tira en arrière et je basculai au sol.

Je crois bien que s'il ne m'avait pas retenu, j'aurais sérieusement amoché Jilal. Mais lorsque je me relevai, brûlant de colère, je réalisai que le mousse était pris de tremblements et qu'une écume blanchâtre lui était venue aux lèvres. Il toussait, se révulsait, se contorsionnait en touts sens. Le venin faisait déjà son effet. Jilal, qui avait toujours paru invulnérable, Jilal au corps taillé dans la pierre et à l'esprit plus solide que le roc, était en train de mourir sous nos yeux.

- Poussez-vous ! grogna Drizzt, qui arriva en courant et nous écarta d'un simple tour de bras, comme si nous n'étions que de vulgaires insectes.

Le second avait réagi au quart de tour. Dès que l'incident avait eu lieu, il s'était précipité à la salle de soins et s'était emparé d'un ustensile qui jusqu'alors m'était inconnu. Il s'agissait d'une sorte de petite pompe, qu'il se pressa d'appliquer sur l'épaule de Jilal après avoir déchiré la manche de sa chemise. Il tira sur la petite poignée, et l'étrange instrument recracha une gerbe de venin bleuté mêlée au sang de Jilal. Il répéta l'opération. Une fois. Deux fois. Trois fois. Au bout de plusieurs essais, il jeta la pompe sur le sol et déclara d'un air grave :

- Il s'est évanoui. Aidez-moi à l'amener jusqu'à l'infirmerie, il va falloir que je m'occupe de lui.

Juste derrière, Täher était prise de violents sanglots d'angoisse. Son visage était rouge, tous ses muscles contractés à l'extrême, et elle avait empoigné ses cheveux, geste qui démontrait chez elle un état de nerfs assez critique.

- Est-ce qu'il va s'en sortir ? parvint-elle à articuler entre deux sanglots.

- Je ne sais pas, répondit honnêtement le second.

Hakks s'empressa d'aller l'aider et prit Jilal par les pieds tandis que Drizzt le portait par l'avant de son corps, et ils s'en allèrent vers les cabines. Mon acolyte chasseur me jeta au passage un regard accusateur avant de s'engouffrer dans le vestibule et de disparaître de ma vue.

Je me sentis soudain vidé de toutes mes forces, et toute ma hargne avait disparu, comme si elle s'était évaporée. Je tombai agenouillé au sol, et tentai de maîtriser le flux torrentiel d'émotions contradictoires qui se déversait en moi. Pourquoi avait-il fallu que ça tourne comme ça ? Pourquoi d'une façon aussi stupide ?

Un horrible sentiment de culpabilité m'envahit. C'était moi qui avait invité tous les autres à se rendre sur le pont. Moi qui avait provoqué cet accident. Moi qui serais responsable de la mort de Jilal. Je pris ma tête entre mes mains, sonné. Tout le reste de l'équipage se tenait là, derrière moi, silencieux. Tous profondément choqués par ce qui venait de se passer. Seuls les sanglots incessants de Täher venaient rompre ce silence écrasant. Neith et Elke s'empressèrent d'entourer la jeune pilote et de l'aider à se calmer, chose qu'ils ne réussirent qu'au bout d'une dizaine de minutes. Täher devait elle aussi être rongée par la culpabilité.

Un à un, ils quittèrent tous le pont, ne laissant derrière eux que les plumes des gouailles, qui étaient comme autant de petits témoins de l'horrible scène qui venait d'avoir lieu. Je restai finalement seul, agenouillé sur le pont, une tempête cauchemardesque faisant rage dans mon crâne.

Ça n'aurait pas dû se passer comme ça.
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