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Lecture d'un chapitre



Lecture du chapitre 4
Nom de l'œuvre : Entre infini et au-delà Nom du chapitre : Après tout ça
Écrit par Cyrlight Chapitre publié le : 6/2/2013 à 19:33
Œuvre lue 96846 fois Dernière édition le : 1/5/2019 à 16:21
Les journées s'écoulaient les unes à la suite des autres, inlassablement. C’était à peine si Kathy pouvait quitter la chambre qu’elle occupait au Centre Pokémon, car des policiers gardaient constamment un œil sur elle. Pour la protéger, ne cessaient-ils de répéter. N’ayant toujours aucune idée de ce qui s’était réellement passé dans le salon des Granet, ils craignaient que quelqu’un tente de s’en prendre également à la fillette.

Elle-même ne s’inquiétait pas du sort qu’elle risquait de subir. Elle n’aspirait qu’à une chose : retrouver sa famille. Et comme ni l’agent Jenny ni ses collègues n’avaient la moindre piste, la seule chance que Kathy avait d’être réunie avec ses parents et son frère était de connaître le même destin qu’eux, quel qu’il soit.

À côté de son lit, sur la table de chevet, s’entassaient les messages que la policière lui envoyait par Roucool. Ils étaient si répétitifs que l’enfant avait l’impression de les savoir par cœur avant même de les lire.

Dans chacune de ses missives, Allison Jenny expliquait en quelques mots que leurs investigations n’avaient encore rien donné, qu’ils continuaient à chercher des indices, mais que les interrogatoires ne leur avaient fourni aucun suspect potentiel. Autrement dit, l’enquête était quasiment au point mort, et ils se contentaient de ne brasser que du vent.

Trois semaines avaient passé depuis le drame quand, un matin, Kathy fut réveillée par les premières lueurs de l’aube. L’infirmière Joëlle, au début de son service, avait dû venir lui apporter son petit-déjeuner sans qu’elle l’entende, car une douce odeur de viennoiserie dorée à point flottait dans l’air.

Aussi délicieux que le croissant et les tartines de pain semblent l'être, accompagnés d’un grand verre de jus de baies, Kathy n'avait pas faim. Elle descendit du lit, posant ses pieds nus sur le carrelage froid. Elle ignora ses pantoufles molletonnées qui gisaient un peu plus loin et se dirigea vers la fenêtre, dont elle tira le rideau.

Elle pouvait presque apercevoir la rue principale de là où elle était, toujours très animée alors même qu'il était très tôt. Kathy n’avait pas mis le nez hors de cette chambre depuis des jours, dans laquelle la police ne cessait d’aller et venir pour lui poser de nouvelles questions qui tournaient toutes plus ou moins en rond, ou simplement lui demander comment elle se sentait, interrogation fort idiote étant donné qu'elle se retrouvait seule, perdue et désespérée.

Sur la pointe des pieds, elle ouvrit silencieusement l'armoire murale, d'où elle sortit une robe noire au col et aux manches ourlés de dentelle, qu'elle enfila à la place de sa chemise de nuit. Ses bottes, couvertes de boue, se trouvaient dans la petite salle de bain adjacente. À son arrivée, Kathy s’était promis de les nettoyer, mais entre ses réflexions personnelles et les visites incessantes des officiers, elle n'avait eu ni le temps ni l'envie de le faire.

Toujours sans bruit, elle entrebâilla la porte du couloir. À l'exception de l'infirmière Joëlle qui devait effectuer sa première ronde de la journée, tout le monde semblait être endormi, y compris le policier chargé de sa surveillance, profondément assoupi sur une chaise en métal inconfortable.

Kathy s'assura que la voie était libre avant de filer à toute allure le long du corridor jusqu'à la salle d'accueil. Elle se plaqua derrière le comptoir, soulagée que l'infirmière ne s'y trouve pas, puis, après avoir jeté un ultime coup d’œil de chaque côté, se précipita hors du Centre Pokémon.

Elle rejoignit son Ponyta, qui avait été installé dans le jardinet situé juste derrière le bâtiment au toit rouge. Ce dernier dodelina de la tête en la voyant arriver, heureux de retrouver sa maîtresse. Gantée, elle caressa son encolure flamboyante avant de se lancer à la recherche de sa selle. La police avait accepté de la lui rapporter de la ferme en même temps que quelques affaires de rechange.

Elle était stockée à l’intérieur d’une petite cabane à outils, dans l'angle que formait la barrière qui cernait la parcelle de terrain. Kathy sangla soigneusement son pokémon avant de s’installer sur son dos en amazone.

— Allons faire un tour, mon grand. J’étouffe, ici, et j’ai besoin d’air.

Un léger coup de talons dans les flancs du poney de feu suffit à le faire partir au petit trot. Kathy ne savait pas vraiment où elle avait l'intention d'aller : elle voulait simplement fuir, quitter ce Centre Pokémon dans lequel elle était captive depuis déjà trop longtemps. Elle devait réfléchir, mais pour cela, il fallait avant tout qu'elle soit seule.

Ils descendirent la grand-rue jusqu'à la sortie de la ville, sous les regards des passants qui dévisageaient la jeune cavalière. Elle fut surprise par ce comportement : à croire qu'ils n'avaient jamais vu personne chevaucher un Ponyta, alors qu’il s’agissait d’un mode de déplacement à la fois pratique et rapide.

Kathy erra un long moment sans but ni destination, avant de s'arrêter à proximité d'un contrebas. Sa profondeur était impressionnante, au moins une dizaine de mètres, voire davantage. La fillette remarqua un caillou à ses pieds, qu’elle jeta dans le vide. La distance était telle que le son de l’impact ne parvint pas jusqu’à elle. Une chute de cette hauteur serait sûrement mortelle, pourtant, en dépit du danger, Kathy s’avança, comme fascinée.

Agenouillée au ras du précipice, elle éprouva un sentiment de sérénité qui l’incita à fermer les yeux et à écouter les bruits de la nature autour d'elle. Tout cela lui rappelait la ferme, sa famille... Jamais elle ne les reverrait les siens, pas plus qu’elle ne rentrerait chez elle. Même si l’agent Jenny le lui permettait, Kathy ne pourrait plus vivre dans cette maison après ce qui était arrivé.

Ses yeux s'emplirent de larmes qu'elle fut incapable de contrôler. Elle revoyait son frère, le soir, étendu devant la cheminée, un livre posé sur le tapis. Elle se rappelait sa mère, tricotant en vue des hivers rudes un pull ou une écharpe dans l'un des fauteuils désormais ensanglantés du salon, pendant que son père fumait la pipe en somnolant, au terme d’une dure journée de labeur, le vieux Chaffreux couché à ses pieds.

Elle n'avait pas souvenance d'avoir vu le pokémon lorsqu'elle était revenue de la forêt. Sans doute s'était-il enfui dans la panique, si panique il y avait eu, à moins qu'il n'ait connu le même destin que la famille Granet. Personne n'aurait cependant été s'embêter d'une créature comme lui, âgée et paresseuse, aussi la première option semblait-elle la plus plausible aux yeux de Kathy.

Elle songea également aux troupeaux. Les voisins s’en occupaient régulièrement, selon les dires de l'agent Jenny, mais qu'adviendrait-il d'eux si personne ne revenait s’établir à la ferme ? Il faudrait les vendre, or c’était tout ce qui faisait la fierté de son père : ses Tauros, avec lesquels il avait remporté plusieurs fois le concours de pokémon bovin de Mérolia, ses Écremeuh, qui donnaient le meilleur lait des environs, et ses Wattouat, dont la laine leur avait offert des vêtements si chauds.

Était-ce là la seule issue ? Toute la vie de Kathy allait-elle être dispersée aux quatre vents ? Bientôt, il ne demeurerait plus rien de sa famille, hormis des souvenirs qui finiraient par se brouiller dans sa mémoire, au point qu’elle ne saurait un jour plus distinguer le rêve de la réalité.

Que lui resterait-il, alors ? L'espoir envolé, ses proches disparus, son incapacité à retourner vivre dans la ferme où elle était née, où elle avait grandi... Elle n’avait jamais connu d’autre existence que celle-ci, mais le sol sur lequel elle avait si longtemps marché s’était brutalement effondré sous ses pieds. Elle n’avait plus rien. Rien à quoi se raccrocher, ni personne pour la retenir.

Elle s'allongea sur la terre sèche, en chien de fusil, et la frappa du poing au rythme de ses sanglots. Tout paraissait vide de sens. Kathy aurait voulu que ses parents soient là, ne serait-ce que pour la guider sur la voie à suivre, mais elle était seule, désormais. À jamais seule. Tout ce qu'elle aimait, tout ce qu'elle avait s'était enfui. Elle ne possédait plus que ses larmes, qui refusaient de se tarir.

Elle aurait voulu entendre les siens, leur parler. Qu'ils lui prodiguent une dernière fois amour et conseils, car elle en avait tant besoin. Évidemment, rien ne se produisit. Elle ne les reverrait plus et devrait apprendre à vivre sans eux, sans personne. Elle était si jeune, pourtant. Elle ne connaissait rien. Elle n'était pas son frère qui avait tout lu dans les livres, bien que son savoir n’ait pas réussi à le sauver. L’avenir de Kathy était flou, sombre. En avait-elle un, d'abord ?

Si seulement elle ne s'était pas égarée dans cette maudite forêt ! Elle serait rentrée à l'heure prévue. Qu’importe ce qui avait pu se passer dans le salon, au moins, elle aurait été avec les siens. Elle aurait amplement préféré subir le même sort qu’eux, aussi atroce fût-il, plutôt que de se retrouver ici, vivante mais abandonnée, et profondément marquée par le traumatisme.

Le remord la consumait de l’intérieur. Si sa famille était belle et bien morte, comme tout incitait à le croire, pourquoi Kathy avait-elle survécu ? Pour quelle raison Arceus, dans Sa grande mansuétude, avait-Il décidé de la protéger en lui envoyant ce Cerfrousse ? Pourquoi avait-elle réchappé à un destin auquel tous les Granet auraient dû être condamnés ?

L’Alpha l’avait-Il d’ailleurs sauvée ? Ou s’agissait-il au contraire d’une pénitence pour son péché ? Elle avait désobéi, ce jour-là. Enfants, Kathy et Éric avaient promis à leurs parents de ne jamais s’éloigner de la lisière de la forêt, et encore moins du sentier. Elle n’avait pas tenu parole et elle en payait le prix. Si elle ne s’était pas enfoncée dans le bois, elle serait rentrée à temps et se trouverait actuellement avec les siens, où qu’ils soient.

Kathy se redressa sur un coude, les yeux rougis et le visage irrité par les larmes. Peut-être n’était-il pas trop tard. Son regard rendu trouble par les pleurs qu’elle avait versés se posa sur la falaise, au ras de laquelle elle se tenait. Elle n’avait qu’un pas, un tout petit, minuscule pas à faire, et ce supplice prendrait fin. Avec un peu de chance, elle rejoindrait sa famille. Son père lui pardonnerait, sa mère la serrerait contre elle et son frère lui adresserait l’un de ses rares sourires. Ils seraient de nouveau ensemble, réunis pour l’éternité.

La fillette se mit debout. Ses jambes étaient lourdes, comme si elles étaient faites de plomb et non de chair. Elle en souleva une, puis l'autre, mais cela lui demanda un effort considérable, en dépit du vide, à un mètre d'elle, qui l'appelait inexorablement. Elle pouvait le faire. Elle devait le faire. Et après ? Une fois qu'elle se serait écrasée au bas du précipice ?

Après, elle serait libre, enfin, de ce poids qui l'oppressait. Sa solitude s’envolerait, sa culpabilité s’estomperait... Et même si elle se trompait, rien ne saurait être pire que le fleuve de douleur sur lequel elle dérivait actuellement.

Kathy avança en tressaillant. Alors qu’elle se rapprochait dangereusement du bord, elle crut entendre quelqu’un crier son nom, dans son dos, mais elle ne se retourna pas. C’était sans doute un effet de son imagination, ou la voix des siens qui l’encourageait à faire le grand saut.

Ses pieds quittèrent la terre ferme, et ce fut la chute. Kathy ferma les yeux, attendant que la mort la recouvre de son linceul et l’emporte entre ses bras pour la libérer de ses souffrances.

Rien de tout cela ne se produisit. L’enfant poussa un gémissement quand elle ressentit une vive douleur au poignet, à laquelle une autre ne tarda pas à se joindre, juste au-dessus du coude.

Ne comprenant rien à ce qui était en train de se passer, Kathy entrouvrit les paupières. Elle fut saisie d’un vertige en constatant qu’elle était figée dans les airs, et non en pleine chute. Elle pencha la tête vers l’arrière pour observer le sommet de la falaise, où elle aperçut une silhouette qui la retenait par le bras.

La fillette sentait des ongles s’enfoncer dans sa chair et sa peau la brûlait aux endroits où l’autre la cramponnait de toutes ses forces. N'avait-on pas compris ? Si elle avait sauté, ce n’était certainement pas avec l’intention d’être secourue. La personne qui la tenait la tira néanmoins vers le haut et, à contrecœur, Kathy prit appui sur l'à-pic avec ses pieds pour remonter, afin de ne pas entraîner avec elle celui ou celle qui avait cru la sauver.
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