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Lecture d'un chapitre



Lecture du chapitre 2
Nom de l'œuvre : Le sang de la jetée Nom du chapitre : Le vent sur les quais
Écrit par Cyrlight Chapitre publié le : 12/10/2015 à 13:53
Œuvre lue 2399 fois Dernière édition le : 12/10/2015 à 13:53
Afin de célébrer la victoire de Candice dans le Concours de Salencre, les trois amis se retrouvèrent au Café Nacré, réputé pour ses célèbres glaces aux parfums les plus variés. Ils s'installèrent à leur table habituelle, celle qui donnait sur la baie vitrée et, accessoirement, sur la plage. Mo tournait le dos au paysage, contrairement à Alise, assise juste en face afin de pouvoir l'admirer au mieux.

Un banana split, une pêche melba et une dame blanche furent apportés par une serveuse, mais les deux jeunes femmes n'avaient pas le coeur à goûter à leur gourmandise. Candice mélangeait machinalement le chocolat liquide avec sa crème chantilly tandis qu'Alise triturait sa cigarette russe.

- Allons, il ne faut pas vous mettre dans des états pareils ! constata Mo alors qu'il avait déjà englouti plus de la moitié de son sorbet. Ce n'est pas la première fois que l'on se prend une gifle de la sorte.
- En tout cas, c'est gentil d'avoir essayé, marmotta Alise en adressant un sourire crispé à sa meilleure amie.
- Pas de quoi. J'aurais simplement aimé que cette intervention serve à quelque chose.

La brune poussa un soupir et se résolut à goûter sa glace. Elle mangea sa boule vanille sans appétit, l'esprit ailleurs. Voici désormais deux ans qu'elle se battait pour faire cesser cette tuerie, deux ans qu'elle n'avait pas progressé d'un pouce dans sa lutte, malgré le soutien indéfectible de ses compagnons.

A vingt-cinq ans, elle était la plus jeune membre du Parlement monocaméral de Souka et avait déjà rédigé un projet de loi visant à abolir le massacre des Staross, qui s'était fait écraser par l'opposition. Suite à cela, elle s'était attirée les foudres de bon nombre de ses collègues politiciens à cause de ses idées extrémistes en faveur de l'environnement, mais aussi des habitants de Salencre, car la ville ne prospérait en grande partie que grâce à ce commerce odieux.

- Tiens, tiens... murmura Mo. Les voici...

La porte du café s'ouvrit et un carillon tinta doucement dans un bruit cristallin. L'odeur des embruns s'engouffra à l'intérieur un bref instant, mais fut rapidement recouverte par celles des pâtisseries qui doraient dans la cuisine.

Trois hommes entrèrent. Ils étaient vêtus d'un costume noir sobre, à la coupe classique, et portaient des verres fumés. L'un d'entre eux rajusta sa cravate avant d'avancer en direction du comptoir, flanqués des deux autres.

- Comment veux-tu que quelqu'un s'oppose à la traite de Staross quand tout le monde tolère ça ? pesta le jeune homme.

Alise ne répondit pas immédiatement. Elle regardait les nouveaux arrivants, distraite. Ils échangèrent quelques mots avec la serveuse, une jeune fille fraîchement embauchée d'une quinzaine d'années, qui se hâta d'aller chercher sa patronne dans l'arrière-boutique. La tenancière revint, un torchon à la main, un tablier noué autour de la taille.

Ils entendirent le cliquetis de la caisse enregistreuse lorsque celle-ci s'ouvrit. La femme en sortit une enveloppe épaisse, à l'intérieur de laquelle elle glissa plusieurs liasses de billets généreusement fournies avant de la remettre aux trois hommes.

- Tout le monde sait ce qui se passe, mais personne ne dit rien, surenchérit Mo.
- Tu te vois lutter contre la mafia, toi ? intervint Candice. C'est différent. Il n'y a qu'un seul Starossier, alors qu'eux sont des centaines. Et puis, ils ne font pas de mal, du moins pas à proprement parler. Tu risques juste de te faire un peu secouer ou voir ta maison prendre feu si tu refuses de payer les sommes qu'ils te réclament.
- Je suis assez d'accord. Ils n'ont pas de sang sur les mains, eux.

Alise avait déclaré ceci tout en regardant les visiteurs quitter l'établissement. Effectivement, nul n'ignorait que la Main Noire, comme on l'appelait ici, raffermissait son emprise sur Souka de jour en jour. D'aucun disait qu'ils avaient des hommes au Parlement, afin d'avoir autorité sur les motions proposées et adoptées. Elle qui était députée, elle savait que c'était la vérité, mais jamais elle ne l'aurait révélé ouvertement. Même ses amis ignoraient ce détail.

Candice héla une serveuse qui passait à proximité et lui régla la note, qui s'élevait à cent vingt pokédollars. Ayant tous les trois finis leur coupe -ou les ayant laissées à moitié fondre en ce qui concernait les filles-, ils sortirent à leur tour du Café Nacré, quelques minutes seulement après les mafieux.

- Un ciné, ça vous dit ? proposa Mo avec entrain.

Si Candice retrouvait peu à peu sa bonne humeur naturelle après la gifle qu'elle avait encaissé lors de la remise de son trophée, ce n'était pas le cas d'Alise qui semblait toujours aussi abattue. Mo l'attrapa par l'épaule afin de la réconforter. Il la frictionna un instant, ce qui finit par lui arracher un sourire.

- C'est gentil, mais j'ai beaucoup de travail. J'ai une réunion après-demain avec la députée de Gardenia. J'ai entendu dire qu'elle ne m'appréciait guère, comme beaucoup de monde, d'ailleurs, surtout au Parlement. Je ne veux pas lui donner davantage de raison de médire à mon sujet.
- Tu veux qu'on te raccompagne ?
- Non merci, j'ai envie d'être un peu seule.

Elle adorait ses meilleurs amis, mais elle appréciait également par-dessus tout la solitude. Elle avait besoin de réfléchir dans le calme à la situation, à ce qu'elle pouvait faire pour épargner la vie de ces innocents Staross. Leur agonie peuplait ses cauchemars, hantait ses pensées. Elle ne trouverait pas le répit ni la paix intérieure tant qu'elle n'aurait pas mis un terme à tout cela.

Elle s'éloigna sous l'oeil de Candice et de Mo qui la regardèrent s'éloigner sans émettre la moindre parole. Ils savaient combien cette cause lui tenait à coeur et ils auraient voulu l'aider dans son entreprise, néanmoins ils étaient encore plus impuissants qu'elle dans cette histoire.

***

Ils passèrent la soirée ensemble, en l'absence d'Alise. Après avoir assisté à la projection d'un film japonais sur l'environnement, ils dinèrent dans un petit restaurant portuaire réputé pour ses plats à base de poisson. Alors qu'ils mangeaient, ils se remirent à discuter des évènements de l'après-midi.

- J'ai peur qu'Alise fasse une bêtise, commenta Candice avant de boire une gorgée d'eau dans son verre.
- C'est une grande fille, elle est membre du Parlement, alors j'en doute.
- Elle est prête à tout pour arrêter le Starossier et elle ne renoncera devant rien pour y parvenir. Je crains que ça ne puisse avoir des répercussions. Elle s'est déjà mise la moitié de la population de Salencre à dos. Même nous, ils nous jettent des regards noirs uniquement parce que nous sommes ses amis.
- Ce qui m'inquiète le plus, dans cette histoire, c'est que son mandat touche à sa fin et, vu sa côte de popularité, elle ne sera jamais réélue. Elle n'a plus beaucoup de temps pour faire passer un nouveau projet de loi, or si elle le fait en l'état actuel des choses, il aura encore moins de chance d'être accepté que le précédent.

Mo piqua un filet de remoraid dans son assiette, qu'il mâcha sans conviction malgré la saveur du met. Il sauça ensuite le plat avec un morceau de pain, mais le laissa choir sur sa serviette. Candice, elle, jouait nerveusement avec sa fourchette.

- Nous sommes aussi concernés qu'elle par cette cause, finit-elle par déclarer en frappant la table du poing, ce qui le fit sursauter. C'est à nous de l'aider. Elle a toujours été là quand nous avons eu besoin d'elle et maintenant, nous allons lui rendre la pareille. À nous trois, nous parviendrons certainement à ouvrir les yeux de la population de Salencre sur ce qui se trame juste sous son nez.

Mo haussa les épaules. Un peu moins rêveur que Candice malgré son naturel distrait, il ne croyait pas que cela puisse fonctionner. Elle avait néanmoins raison sur quelque chose : ils ne pourraient plus jamais se voir dans un miroir ni l'un ni l'autre s'ils ne faisaient pas le maximum pour Alise, même si cela devait se solder par un échec.

Ils s'efforcèrent de mettre une stratégie sur pied tandis qu'ils rentraient chez eux. Galant, Mo avait décidé de raccompagner son amie jusqu'à la petite maison qu'elle occupait dans un pavillon de banlieue, bien que ce soit à l'opposé de l'Arène où il vivait en compagnie de sa mère, la Championne de Salencre.

Sur le seuil, ils échangèrent un sourire. Les joues de Candice rosirent légèrement, bien que cela ne soit pas visible à la seule lumière des réverbères, avant qu'elle ne se décide à lui donner un baiser.

- Ça aussi, je crois qu'il faudra le dire à Alise, affirma le jeune homme lorsque leurs lèvres se furent éloignées.
- Pas maintenant. Elle a trop de préoccupations en tête pour que nous ayons besoin de lui raconter nos histoires.
- Pourtant ça ne fait pas de mal, un peu d'amour dans un monde barbare. C'est même une bonne nouvelle.
- Je ne veux pas qu'elle puisse penser que nous allons nous éloigner d'elle étant donné que nous sommes ensemble.
- Ça fait trois semaines que ça dure, maintenant, et elle n'a rien remarqué, soutint Mo. C'est bien la preuve que rien n'a changé et que rien ne changera jamais.
- Attendons un peu, s'il te plait. Elle va vraiment avoir besoin de notre soutien, celui de ses deux meilleurs amis, pas celui d'un couple.
- Tu as raison... C'est mieux qu'elle n'en sache rien pour le moment.

***

Alise repoussa le contrat sur lequel elle était penchée depuis désormais plus de deux heures et duquel elle devrait discuter le lendemain après-midi avec la député de Gardenia, de passage à Salencre avant la grande réunion parlementaire qui aurait lieu la semaine suivante.

Elle avait mal à la tête et décida de faire une pause dans son travail pour aller se chercher un verre d'eau dans la cuisine. Elle avait besoin de se dégourdir un peu les jambes après être restée si longtemps assise, d'autant que les événements de la journée l'avait perturbée. Elle devait s'occuper l'esprit.

La pokéball dans sa poche frémit comme sur la jetée lorsqu'elle ouvrit le robinet. Elle caressa du bout des doigts sa surface métallique avant de se résoudre à faire sortir la créature qui se trouvait à l'intérieur.

- Ne sois pas si impatient, Ucello. Tu sais que j'aime être tranquille quand je dois m'occuper de dossiers si fastidieux.

Une étoile de mer marron se trouvait à ses pieds, dressée sur deux de ces cinq branches. Elle les fléchit légèrement et Alise eut tout juste le temps de poser son verre que le pokémon sautait déjà dans ses bras.

Elle l'avait sauvé d'un sort funeste quand il était venu s'échouer sur le rivage de Salencre alors qu'il n'était encore qu'un bébé. Ses parents venaient d'être capturés par le Starossier et il n'aurait pas survécu sans eux si la jeune femme ne l'avait pas adopté. Depuis, il faisait preuve d'une affection et d'une reconnaissance sans borne à son égard. Pour elle aussi, il était ce qu'elle avait de plus cher.

- Je suis désolée pour cet après-midi. Tu les as sentis, n'est-ce pas ?
- Stari...
- Pardon. Je n'aurais pas dû t'infliger ça, mais tu sais combien j'aime les embruns. Je ne pensais pas que ce maudit bateau reviendrait déjà avec une nouvelle cargaison des tiens.

La créature frotta doucement sa pointe frontale contre son menton afin de lui indiquer qu'elle ne lui en voulait pas. Alise effleura ses écailles rugueuses du revers de la main, puis le reposa sur le sol.

- Je voudrais tellement faire quelque chose pour vous, murmura-t-elle en s'accroupissant à sa hauteur, sauf que... Je suis perdue. Je ne sais pas quoi tenter, à présent. La dernière fois, la Chambre m'a démontée jour après jour, si bien qu'au final, je n'avais plus le moindre député de mon côté. Je suis seule contre eux tous. Si jamais je tente à nouveau de faire passer un quelconque projet de loi, je n'obtiendrai pas un meilleur résultat. Si je ne le fais pas, bientôt mon mandat s'achèvera et alors il n'y aura plus personne pour soutenir votre cause.

Ucello se voûta légèrement. Il semblait penaud de causer tant de désagrément à sa maîtresse qui prenait son sort tellement à coeur. Il aurait voulu la voir heureuse, cependant cela faisait bien longtemps qu'Alise n'avait plus souri.

Elle vivait seule, en dehors de ses pokémons et, à part ses meilleurs amis, ne fréquentait personne. Parfois, elle songeait qu'à son âge, elle devrait peut-être se trouver un compagnon mais, à l'exception de Mo, aucun garçon ne l'intéressait réellement. La solitude ne lui pesait pas, de toute manière. Elle avait trop à faire avec son poste au Parlement pour s'encombrer de quelqu'un.

- Je t'en fais la promesse, Ucello. Cette loi passera. J'abolirai le massacre des Staross une fois pour toute, peu importe ce que ça doit me coûter. Je le ferai.

***

Lorsque Mo était rentré à l'Arène, la veille au soir, sa mère s'était déjà retirée dans ses appartements pour la nuit et il n'avait pas osé l'importuner. Maintenant qu'ils étaient tous les deux réunis dans la salle à manger pour prendre le petit-déjeuner, il se permit de lui poser la question suivante :

- Maman ? Tu m'as bien dit, une fois, qu'un Champion d'Arène pouvait participer au vote des lois du Parlement si elles concernaient la ville dans laquelle il exerce ? C'est ça, n'est-ce pas ?
- Euh... Oui, mais depuis quand t'intéresses-tu à la politique, toi ?

Madame Sacarat était une femme d'âge mure qui approchait de la cinquantaine d'années. Elle était cependant pleine de vivacité et cela se reflétait dans ses yeux vert feuille, la copie exacte de ceux de son fils. Elle l'étudia un instant de son regard pénétrant, puis reprit en voyant qu'il conservait le silence :

- Ça n'aurait pas un rapport avec ton ami Alise ?
- Hum... Si, consentit-il à admettre face à la perspicacité de son interlocutrice.
- C'est au sujet de la traite des Staross ?

A nouveau, Mo répondit par l'affirmative, mais cette fois d'un simple hochement de tête. Madame Sacarat attendit quelques secondes, visiblement le temps de s'accorder une réflexion, puis poursuivit :

- Tu vas devenir très impopulaire si tu prends partie sur un sujet aussi sensible.
- Je sais, mais c'est inhumain, comme pratique. Même toi tu n'es pas d'accord avec ce qu'ils infligent aux pokémon.
- C'est vrai. Que pouvons-nous y faire, cependant ? C'est ainsi. Une seule voix ou même deux ne feront pas changer les choses.
- Alise en est capable, j'en suis certain. Elle pourra faire cesser ça et je l'aiderai. Candice aussi, d'ailleurs. Je pense que d'autres personnes seraient également prêtes à se rallier à nous, à condition de les motiver un peu.
- Et vous croyez vraiment y parvenir ?
- Je crois surtout qu'on le regrettera toute notre vie si l'on n'essaye pas.

Il plongea la tartine qu'il venait de beurrer avec détermination dans son café, mais il fut si surpris par la série de coups précipités frappée à la porte de l'Arène qu'il lâcha la tranche de pain. Celle-ci plongea entièrement dans le breuvage sombre qui éclaboussa la chemise bleue qu'il portait ce matin-là.

- Flûte de zut, pesta-t-il en s'essuyant rapidement avec un torchon avant de se lever pour aller ouvrir.

Alise se tenait sur le seuil. Elle d'ordinaire si élégante, elle n'était pas peignée, arborait encore ses affaires de la veille et avait les yeux cernés. Elle paraissait totalement échevelée.

- Que se passe-t-il ? demanda aussitôt Mo, inquiet de la voir dans cet état. Une mauvaise nouvelle ?
- Non. Je suis venue te demander ton soutien.
- Mon soutien ? Pourquoi ?
- Pour mon projet de loi.

***

Quarante-cinq minutes plus tard, ils retrouvèrent Candice sur la jetée. Celle-ci aurait dû arriver plus tôt, mais elle mettait toujours un temps considérable à sortir de son lit, bien qu'ils lui aient précisé au téléphone qu'il s'agissait d'une urgence.

Ils marchaient désormais tous les trois le long des quais. Mimzy se dandinait entre les jambes de sa maîtresse. Alise aurait voulu sortir Ucello de sa ball, qui s'agitait à l'intérieur en sentant l'odeur des embruns, néanmoins elle craignait à chaque instant de voir le Starossier sortir de la brume. Il était encore très fragile psychologiquement, elle ne tenait pas à lui infliger un tel choc.

- Alors c'est vrai ? questionna Candice. Tu penses vraiment y parvenir ?
- Oui, j'ai passé toute la nuit à réfléchir là-dessus.
- Nous aussi, nous en avons discuté au restaurant.

La coordinatrice voulut se taire, mais trop tard, les mots avaient franchi la barrière de ses lèvres. Les sourcils d'Alise se froncèrent légèrement avant qu'elle ne recouvre une expression insondable. Après tout, c'était elle qui avait refusé de sortir avec eux pour travailler sur son dossier. Il était d'ailleurs à l'origine de son idée.

- Vous savez qu'un riche industriel veut faire construire un gigantesque parking pour le nouveau complexe sportif de Gardenia ?
- Il me semble vaguement en avoir entendu parler à la radio, affirma Mo. La députée s'oppose à ce projet, n'est-ce pas ?
- Oui et comme vous le savez sûrement, elle ne me porte pas dans son coeur. Elle a dû faire face à un cruel dilemme quand elle m'a adressée un mail pour solliciter mon aide.
- Ton aide ? C'est pour ça que vous avez rendez-vous, aujourd'hui ?
- Si mes arguments écologiques font rarement l'unanimité à la Chambre, elle va en avoir besoin plus que jamais. Pour bâtir ce parking, ils ont l'intention de raser les serres de Gardenia, réputées pour contenir des centaines d'espèces différentes et pour la plupart très exotiques. Elle sait que je suis la seule à pouvoir la soutenir dans une telle démarche, étant donné que je m'y connais mieux que personne sur le sujet.
- J'avoue ne pas bien saisir le lien avec les Staross, commenta Candice, le regard penaud.

Elle n'était pas très dégourdie et se sentait encore plus gauche aux côtés d'une personne aussi intelligente qu'Alise. Le sourire que lui adressa Mo suffit cependant à lui redonner un peu confiance. Ils étaient ses amis, après tout. Ils se complétaient les uns les autres.

- C'est très simple quand on réfléchit bien, et je m'en veux de ne pas y avoir songé avant : en échange de mon soutien, je vais lui demander le sien.
- Et si elle refuse ?
- Elle pourra dire adieu à ses serres, raison pour laquelle ce n'est pas dans son intérêt.
- Alise, tu n'es pas d'accord avec ce projet, toi non plus. Tu ne peux pas marchander de la sorte et permettre à quelqu'un de détruire la richesse de cette flore uniquement pour...
- La dernière fois, j'ai essayé de jouer en solo et je me suis faite humilier. Le Parlement tout entier m'a ri au nez. Je n'ai plus le droit à l'erreur, désormais. Si cette loi ne passe pas avant la fin de mon mandat, ce ne sera pas mon successeur qui s'en chargera.
- Je ne suis pas sûr que le chantage soit la meilleure des solutions, marmonna Mo, peu convaincu.
- Qui parle de chantage ? J'appelle ça un accord tacite ou même un échange de bons procédés. Je ne vois pas pourquoi on pourrait se servir de mes préoccupations écologiques quand on en a besoin et ensuite me laisser sur le carreau lorsque ça n'a plus la moindre utilité aux yeux des autres.
- Elle n'a pas tort, approuva Candice avec un hochement de tête. C'est équitable, comme méthode.
- Sauf que ça ne t'apportera qu'une voix en plus. C'est toujours mieux que rien, mais tu serais quand même loin de la majorité.
- C'est un début. Peut-être qu'en voyant un membre du Parlement se ranger dans mon camp, d'autres suivront. C'est l'effet de masse.

Mo haussa les épaules. Visiblement, il n'était pas plus enthousiaste que ça à cette idée, contrairement à Candice qui approuvait sa meilleure amie avec entrain. Alise la remercia d'un sourire, alors qu'ils flânaient à présent sur la plage.

- Ne te précipite pas, c'est tout ce que je veux dire, finit par poursuivre le jeune homme alors qu'un silence pesant avait commencé à s'instaurer.
- Il le faut, pourtant. Dans un an, mon mandat sera terminé. C'est maintenant ou jamais.
- J'en ai conscience, qu'est-ce que tu crois ? Ce matin, quand tu es arrivé, j'étais en train de discuter avec ma mère de la succession de l'Arène. Quand je serai devenu Champion, moi aussi, j'aurai mon mot à dire. En attendant, elle, elle ne veut pas prendre partie sur une question aussi tabou.
- C'est le problème des gens, soupira Alise.

Elle venait d'ôter ses chaussures et marchait pieds nus dans le sable fin. Candice aurait voulu l'imiter, mais la dernière fois qu'elle avait fait cela, elle s'était blessée sur un coquillage cassée.

- Ils sont égoïstes. Tant que ça ne les touche pas personnellement, ils sont persuadés qu'ils n'ont pas à intervenir, continue-t-elle d'un ton appuyé qui trahissait son énervement. Comment ? Mais comment peut-on assister à de tels infamies sans lever le petit doigt ? C'est...
- Immonde, compléta la coordinatrice. Ce n'est pas de toi ou de ta loi que vient le problème, justement, mais des Salencriers. C'est la mentalité qui doit changer. Ils doivent voir ce que tu te tues à leur démontrer depuis maintenant plusieurs années.
- Quand les gens sont aveugles, ça ne sert à rien de s'échiner à tenter de leur faire ouvrir les yeux.

Elle donna un coup de pied rageur sur une petite dune qui fit voleter le sable autour de son mollet, puis pressa le pas. Elle ne s'aperçut pas immédiatement que, dans son dos, les deux autres s'étaient arrêtés. Candice se mit soudain à fredonner. Elle ne chantait que très rarement, à cause de sa timidité, pourtant elle avait une très jolie voix, douce et apaisante.

- Amazing grace, how sweet the sound that saved a wretch like me... I once was lost but now am found, was blind, but now, I see.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Ma mère me la chantait lorsque j'étais petite. Il s'agit d'une chanson de pardon, d'espoir et de paix. Un capitaine de négrier l'a composée après s'être repenti des crimes qu'il avait commis et des innombrables personnes qu'il avait contribué à tuer. Depuis, c'est devenu un hymne célèbre dans le monde entier. Il ne faut pas te décourager, Alise. Les esprits peuvent changer. Tu dois simplement leur transmettre la force de tes convictions et leur laisser le temps de les acquérir. Ils sont aveugles, mais le moment venu, ils verront.
- Tu en es certaine ?
- Pourquoi ne pas le croire ?
- Parce que... Parce que parfois, il est difficile de continuer à croire en quelque chose.
- Alors pourquoi continues-tu de prier Lugia tous les soirs pour qu'il te donne la volonté de te battre encore ?

Alise esquissa un sourire, qui disparut presque aussitôt sous le voile d'anxiété qui recouvrait constamment son visage ces derniers temps.

- Je n'ai pas le droit d'échouer. J'en ai fait le serment, pour l'océan, pour Ucello et pour moi-même.
- C'est pour cette raison que tu vas y parvenir, surenchérit Mo. Tu as juste besoin de modifier ton angle d'attaque. Si tu te presses, tu vas échouer encore une fois. Laisse le temps faire son oeuvre. De toute façon, tu n'as plus rien à perdre.

Elle hésita un instant, immobile. Son regard se perdait sur l'étendue aqueuse sur laquelle le soleil venait miroiter. Les vagues léchaient la plage à côté d'eux, avant de se retirer dans le bruit rassurant du ressac.

- Quel est le titre de la chanson ?
- Amazing Grace.

Alise porta une main à la poche de sa veste et en sortit une pokéball. Son stari se matérialisa devant elle. Elle se mit à genoux tandis qu'il étudiait les alentours, apparemment ravi de se retrouver dans son élément.

- Qu'est-ce que tu en penses, Ucello ? Tu crois qu'il n'est pas trop tard pour leur permettre d'obtenir une grâce étonnante ?
- Stari !

Il vint se frotter contre sa jambe et elle leva la tête en direction de ses deux amis qui l'observaient, silencieux. Son front se dérida, ses traits se détendirent et elle déclara d'une voix moins froide que de coutume :

- Allons-y. Utilisons nos voix pour changer le monde.
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