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Lecture du chapitre 3 | |
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Nom de l'œuvre : Le sang de la jetée | Nom du chapitre : Les remous du grand large |
Écrit par Cyrlight | Chapitre publié le : 23/10/2015 à 22:33 |
Œuvre lue 2400 fois | Dernière édition le : 29/4/2018 à 21:39 |
- Brittany ! s'exclama Candice, assise devant son visiophone. Le visage d'une jeune femme aux cheveux cuivrés et à la peau soigneusement maquillée afin de dissimuler la moindre imperfection se découpait dans le cadre de l'écran. Elle eut un sourire éclatant, révélant des dents d'une blancheur irréprochable, avant de rire : - Ça alors ! Je n'arrive pas à croire que tu m'appelles ! Félicitations pour ta victoire au Concours de Salencre, c'est un véritable exploit. Je suppose que ce n'est cependant pas pour accepter ma proposition que tu me contactes. - Tu fais fausse route, Tany. Au contraire, je suis d'accord. L'autre ouvrit des yeux ronds avant d'éclater de rire. Elle secoua la tête de gauche à droite, faisant rebondir ses boucles élégantes contre ses joues rondes. Après un instant, elle s'efforça de recouvrer son sérieux. - Attends... reprit-elle. Tu... Tu ne plaisantes pas ? Tu as vraiment l'intention de participer à mon talk-show ? Je n'arrive pas à le croire ! La grande coordinatrice Candice Helzig dans mon émission, voilà qui va faire monter ma courbe d'audience ! - Euh... Oui, mais laisse-moi terminer, s'il te plait. La jeune femme tritura nerveusement le col de son chemisier. Elle n'aimait pas marchander, ni faire du chantage aux gens, mais elle s'était engagée auprès d'Alise et elle ne pouvait plus se dérober, d'autant qu'il s'agissait de son idée. - Je veux bien venir, à une condition. - Tout ce que tu voudras. - Etant donné que tu invites toujours plusieurs personnes en même temps, j'aimerais que tu en profites pour convier mon amie Alise Degret. - La députée ? J'ignorais que vous vous connaissiez. Les traits de Brittany se crispèrent quelques secondes avant de reprendre une expression neutre. Visiblement, elle aussi était au courant de la réputation d'extrémiste de la jeune politicienne. - Je comprendrais que tu refuses, précisa Candice. Sache cependant que c'est très important pour moi. - Hum... Laisse-moi le temps d'y réfléchir, tu veux bien ? Je n'ai aucun grief personnel contre elle, simplement ça risque de faire chuter fortement l'audimat, alors je dois en discuter avec les responsables de la chaîne. - Aucun souci. Recontacte-moi dès que tu as du nouveau. Et... Tany ? Merci. *** Alise, assise dans les gradins de l'Arène de Salencre, observait avec attention le match qui se déroulait en contrebas. Beaucoup de villageois étaient venus assister à l'investiture du nouveau Champion. - Crocs-vert, Fouets Lianes ! - Coton, Demi-Tour ! Le cotovol esquiva les excroissances végétales lancées par l'empiflor adverse pour le frapper de plein fouet avant de disparaître dans la pokéball de Mme Sacarat. Elle en sélectionna une autre à sa ceinture, qui libéra une lilia. Mo ordonna aussitôt à son pokémon de lancer sur elle ses Tranch'herbe afin de profiter de sa rapidité. Grâce à son double-type, la créature préhistorique résista plutôt bien, assez pour répliquer avec Eboulement. Une série de pierres sortie de nulle part s'abattit sur Crocs-vert pour le recouvrir entièrement. Dans les tribunes, Alise porta une main à ses lèvres, la bouche entrouverte. Tous les spectateurs avaient les yeux rivés sur le duel : le résultat promettait d'être très serré. Les roches remuèrent enfin et la plante carnivore s'en dégagea pour repasser immédiatement à l'action. Son Éco-sphère heurta la lilia qui dut planter ses racines dans le sol afin de ne pas être propulsée vers l'arrière. - Lily, utilise Coud'Boue. Mme Sacarat avait beau combattre son fils, elle n'avait pas l'intention de lui offrir la victoire sans mener un combat acharné jusqu'au bout. L'empiflor fut aveuglé et dut temporairement renoncer à attaquer au risque de manquer sa cible. - Vite, Tempêtesable ! Ne lui laisse pas le temps de recouvrer la vue. - Tu veux jouer avec la météo, maman ? Zénith ! Le soleil l'emporta sur la poussière et une chaleur accablante se propagea dans la pièce. La vitesse de Crocs-vert l'avantagea une nouvelle fois sur son adversaire, car il fut le plus prompt à se servir du nouveau climat pour charger un Lance-Soleil. Lily s'effondra aux pieds de sa maîtresse, vaincue. - Coton, à toi de jouer ! Elle renvoya son cotovol sur le terrain et Mo décida de changer lui aussi de pokémon, jugeant que l'empiflor en avait assez fait. Il le rappela donc pour utiliser à sa place une créature tout aussi redoutable, à savoir son cacturne. - Picki, go ! Alise sourit dans les tribunes. Elle avait toujours trouvé les surnoms qu'il donnait à ses partenaires ridicules, mais ce n'était pas maintenant qu'il changerait, même à l'aube de devenir Champion d'Arène. Il y eut du mouvement dans la rangée où elle était assise. Les gens se mirent à grogner et à pester pendant qu'une silhouette maladroite se frayait tant bien que mal un chemin en leur marchant sur les pieds. Candice s'entrava juste avant d'arriver à hauteur de son amie pour trébucher de tout son long. Écarlate, elle se releva précipitamment pour s'installer sur la place qu'Alise lui avait gardée. - Où est-ce qu'ils en sont ? - Mo mène un à zéro. Il a vaincu la lilia de sa mère avec son empiflor. Qu'est-ce que tu faisais ? Ça ne te ressemble pas d'être en retard. - Désolée... Brittany Hooper m'a appelée au moment où je m'apprêtais à quitter la maison. Elle est d'accord pour nous inviter dans son émission. Alise se pinça la lèvre, se sentant légèrement coupable du fait que Candice ait raté le début du match à cause d'un service qu'elle désirait lui rendre. Elles redevinrent silencieuses et se concentrèrent sur le combat qui se déroulait en contrebas. - Coton, utilise Balle Graine. Afin de se protéger de l'attaque, le cacturne replia ses pattes robustes devant lui et encaissa les projectiles sans trop de mal. Il répliqua ensuite, sur ordre de son dresseur, en entourant le cotovol d'une matière duveteuse, ce qui réduisit considérablement sa vitesse de base. - Feinte ! en profita Mo. Mme Sacarat ne put rien faire pour empêcher son pokémon d'être touché. Coton subit l'assaut de son adversaire, mais se jeta sur l'occasion offerte par sa proximité pour lui lancer un Aéropiqué. Picki recula, atteint à l'épaule. Son bras souffrait d'une déchirure superficielle à l'endroit où l'attaque l'avait eu. Il recula précipitamment afin de se mettre hors de portée et revint vers son maître, qui réfléchissait déjà à une nouvelle stratégie. - Protection et Synthèse ! s'exclama Mme Sacarat. Mo connaissait bien ce combo que sa mère utilisait souvent lorsqu'elle axait le combat sur la défense. Elle espérait visiblement défaire son cacturne à l'usure, mais il n'avait pas dit son dernier mot. - Casse-Brique ! La fine barrière qui s'était dressée autour du cotovol se brisa en milliers d'éclats et le rendit vulnérable alors qu'il n'avait pas achevé sa régénération. - Direct Toxik ! Des vagues nauséabondes émanèrent de Picki pour encercler son adversaire. Celui-ci frissonna alors que le poison s'insinuait dans son corps végétal. Mo sourit : à moins d'utiliser Aromathérapi, au cours de laquelle Coton serait encore sans défense, son nouveau statut n'allait pas tarder à avoir raison de lui. - Tente le tout pour le tout, intima Mme Sacarat. Ultralaser ! - C'est exactement ce que j'attendais : Coup Bas ! Le cacturne se faufila avec agilité sous le rayon d'énergie que lui lança son ennemi pour le frapper violemment avec son pied, puis avec son poing. Coton perdit de l'altitude, sonné, avant de s'effondrer à terre. - Mo Sacarat remporte le match. Il est officiellement le nouveau Champion de l'Arène de Salencre ! annonça l'arbitre en levant son drapeau. Le public se mit à applaudir le vainqueur. Candice et Alise se levèrent d'un bond afin de trépigner sur place en poussant des cris aigus et en adressant de grands signes de la main à leur ami qui leur répondit par un sourire éclatant. - Encore une bonne chose de faite, constata la coordinatrice, et la députée ne put que l'approuver. *** - Et voilà le travail. Candice lâcha une pile de tracts sur la table, qui trembla sous le poids des feuillets. Sa maison était devenue le quartier général de la lutte anti-Starossier. Alise aurait préféré faire cela chez elle, mais comme de nombreux politiciens lui rendaient souvent visite pour discuter de certaines affaires dans son bureau, ils avaient estimé que c'était la meilleure solution. Les affichettes représentaient un staross en train de se noyer dans une mer écarlate et au-dessus duquel était inscrit en lettres capitales le message suivant : « Non au massacre ! » Le concept était en lui-même basique, toutefois cela importait peu du moment que l'idée se diffuse. - Bon, nous n'avons pas fait une audience exceptionnelle à l'émission de Tany, mais elle-même m'a affirmé que c'était mieux que ce à quoi elle s'attendait. Mo revint à cet instant précis de la cuisine avec un plateau comportant des biscuits secs et trois tasses fumantes. Il déposa le chocolat chaud devant Candice, à côté de qui il prit place, puis tendit à Alise sa tasse de café. Il avait coupé le sien avec un peu de lait Meumeu. - Quelqu'un a vérifié les chiffres de la pétition ? demanda la jeune femme après avoir siroté une gorgée du breuvage amer. - Je pense que tu vas être satisfaite. Mo ouvrit l'ordinateur portable placé en équilibre sur une pile de documents et pianota une série de touches sur le clavier. Il attendit qu'un tableau numérique s'affiche à l'écran pour le montrer à Alise. - Trois cent cinquante ? Uniquement avec les spectacles de Candice ? Afin de servir plus efficacement leur cause, la coordinatrice avait décidé d'organiser chaque dimanche de petites représentations artistiques à l'aide de ses pokémon. Tout le monde souhaitait les voir mais, même si le prix à payer n'était pas très élevé, à savoir une petite signature sur leur pétition, beaucoup avait refusé. Quelques-uns, cependant, s'étaient dit que cela en valait la peine. - Pas uniquement, en fait... J'ai trouvé une technique, moi aussi, informa Mo. Quatre à cinq dresseurs viennent me défier au quotidien pour tenter d'obtenir un badge. J'accepte le défi, mais j'y pose ma condition, désormais. Puisque je leur donne quelque chose en cas de victoire, j'attends qu'ils en fassent de même en cas de défaite. - Tu les forces à signer ? s'étonna Alise. - Forcer est un bien grand mot. Disons que c'est un échange de bons procédés. - Si la Ligue l'apprend... - J'ai étudié le Code des Combats Officiels sous tous les angles, rien n'interdit ce genre de pratique. C'est donc tout à fait légal. La jeune femme resta sceptique. Elle connaissait bien le droit pour l'avoir étudié un moment et elle n'était pas aussi convaincue que Mo de l'innocence de ses agissements, néanmoins elle préférait croire qu'il avait raison. La pétition était en quelque sorte le reflet de la voix du peuple : plus elle obtiendrait de signature et plus elle jouerait un rôle conséquent au Sénat. - Et de ton côté ? Les diners barbants, les forums et les assemblées, ça a donné des résultats ? Alise acquiesça d'un hochement de tête. Elle sortit des surligneurs de la trousse posée devant elle et se dirigea vers un immense poster regroupant l'ensemble des députés suspendus au mur. Avec la pointe fluorescente, elle entoura trois visages en vert. Une douzaine d'autres l'étaient déjà , sept avaient été encadrés en rose et deux étaient rayés d'un trait orange. - C'est définitivement raté pour le député de Belleville depuis qu'il a annoncé qu'il s'opposerait bec et ongles à mon projet dans la presse, mais Estelle Marget, de Gardenia, a quasiment réussi à rallier deux politiciens de Milicent à notre cause. Ils passent donc de la catégorie neutre à probable. - Et ton projet avec Justine Mahoury ? - La loi sur la taxe de l'import de luxe ? C'est en cours. Les rubis des staross font chuter les ventes des joailliers de Sarasky, alors c'est dans son intérêt de la faire passer. Si les contrebandiers payent un impôt supplémentaire sur les pierres qu'ils ramènent au port, ils devront augmenter leurs tarifs, or c'est justement parce que leurs prix sont abordables que tout le monde se jette sur leurs bijoux. Si l'offre diminue, ils risqueront la faillite. Ainsi, le commerce fleurira à Sarasky tandis qu'ici, ils devront quasiment mettre la clé sous la porte. À ce moment là , je les achèverai. - Les autres députés de Salencre ont-ils l'intention de te soutenir ? Le nombre d'élus par ville était proportionnel à sa population et son importance au sein de la région. Ici, ils étaient neuf, soit moitié moins que dans les deux métropoles principales de Souka. Alise perdit son enthousiasme : - Non. Ils pensent que l'économie fait prospérer le port, ainsi que ses habitants. Je crois que je peux les rayer d'orange, eux aussi. Ils ne retourneront jamais leur veste. Tant que tout marche pour Salencre, ils ne se préoccupent des vies innocentes qui sont massacrées chaque jour sous leurs yeux. Un silence pesant s'abattit sur la table autour de laquelle ils étaient réunis. Évidemment, la voix de Mo devenu Champion d'Arène aurait désormais son importance au Parlement, mais les rares alliés qu'Alise était parvenue à rassembler suffiraient-ils à lui apporter la victoire ? *** Au cours des semaines qui suivirent, la lutte anti-Starossier s'accentua davantage. Trois nouveaux députés se rallièrent à leur cause, notamment grâce à la brillante tactique dont Alise avait usé pour étouffer un scandale lié à l'un d'entre eux. Par reconnaissance, il lui avait juré sa loyauté dans son projet et avait convaincu les deux autres d'en faire de même. Ils avaient ensuite mis en pause leur croisade le temps d'accompagner Candice à Milicent, capitale de Souka où se tenait chaque année le Grand Festival. De nombreux coordinateurs étaient venus de l'étranger pour participer à l'événement et, même si la jeune femme n'avait terminé que quatrième, elle en avait profité pour diffuser leurs idéaux de façon interrégionale dans les coulisses. Alise avait ainsi reçu, dans les jours qui suivirent, une lettre d'Ondine, la Championne d'Azuria. Elle lui témoignait son admiration pour son ardeur à défendre une cause aussi juste que celle-ci et lui promettait son soutien si elle en avait besoin. Elle lui suggérait aussi de ne pas hésiter à la solliciter si jamais une aide quelconque lui était nécessaire. La politicienne fut touchée par cette missive : cela prouvait au moins que le message se diffusait. Malheureusement, malgré la générosité de l'expéditrice, elle ne voyait pas vraiment quel intérêt elle pourrait tirer d'une alliée à Kanto. Dans l'état immédiat des choses, c'était surtout à Souka qu'elle devait obtenir des appuis solides et fiables. Candice, dépitée d'avoir une fois encore échouée à cette finale qu'elle convoitait tant, passa quasiment une semaine sans mettre le nez hors de chez elle, jusqu'à ce que Mo et Alise la traînent de force au-dehors afin qu'elle profite des vertus de l'air pur. Ils passèrent ainsi tout un après-midi à flâner dans le parc de Salencre, en oubliant ainsi pour un instant toutes leurs préoccupations politiques. - Parfois, je me dis que je pourrais rester assise dans l'herbe pendant des heures et ne rien faire d'autre qu'admirer la beauté folle des fleurs, murmura la députée alors qu'ils pique-niquaient dans le soleil couchant, une nappe à carreau étendue sous eux. Son combat contre le Starossier l'exténuait. Elle avait fait deux fois le tour de Souka afin de rencontrer de potentiels soutiens dans les autres villes de la région en l'espace de quelques semaines et, encore aujourd'hui, elle ne cessait d'alterner les allers-retours jusqu'à la capitale, où se tenait le siège du Parlement. La fatigue se lisait sur ses traits. Elle avait pris quelques rides et son apparence était beaucoup moins soignée qu'avant. Mo et Candice ne cessaient de lui répéter qu'elle finirait par tomber malade avant que sa loi ne soit adoptée. Vu son état qui se détériorait sans cesse, elle commençait à les croire. - Tu devrais t'accorder deux ou trois jours de vacances, suggéra le Champion d'Arène, allongé sur le dos. - Impossible. J'en ai fait la promesse à Ucello : je n'aurai de repos tant que le Starossier voguera sur les flots. - Crois-tu vraiment qu'il préfère que tu te tues à la tâche ? - Ça vaut la peine d'essayer. *** Cet intermède fit tout de même un bien fou à Alise. Sa motivation n'en était ressortie qu'accrue et, durant le mois qui suivit, la notoriété de sa cause augmenta grâce à toutes les démarches qu'elle réalisait. Grâce à Mo, l'ensemble des Champions de Souka la soutenaient. À travers Candice, c'étaient des rassemblements entiers de coordinateurs qui lui avaient juré leur loyauté. Enfin, si elle n'arrivait pas à en faire de même pour Salencre, elle avait réussi à plier la ville de Gardenia à son idéal par le biais de sa députée. Son nombre d'alliés au Parlement avait presque triplé en l'espace de quelques mois et si personne ne se désistait, elle était certaine d'obtenir la majorité des suffrages au moment du vote. Son projet de loi était prêt depuis longtemps, soigneusement rangé dans un tiroir privé de son bureau, où il ne demandait qu'à être relu avant sa validation. - L'heure est presque venue, Ucello. Elle était assise dans son canapé en train d'étudier le fameux document pour s'assurer qu'il ne contenait aucune faille, aucune erreur. Son stari se tenait sur ses genoux. Elle caressait sa membrane rugueuse avec douceur. - Cette fois, j'ai mis toutes les chances de mon côté. Candice, Mo, toi... Vous avez tous placé votre confiance en moi et je ne vous décevrai pas. Il n'y a aucune raison pour que la motion soit à nouveau rejetée. Le massacre va cesser. Elle reposa les documents à côté d'elle. Elle avait passé toute sa soirée à lire et ses yeux la picotaient. Elle décida de s'accorder un peu de répit, ce qui se traduisait chez elle par une balade sur la jetée en compagnie d'Ucello. Son appartement n'était pas très loin du port, assez près, même, pour que l'odeur saline de la mer porte jusqu'à ses fenêtres. Le soleil amorçait sa courbe vers l'horizon et sa couleur chatoyante recouvrait Salencre d'or. Elle suivit un moment la route qui longeait la plage jusqu'aux premiers embarcadères, puis bifurqua sur la jetée. Elle tenait son stari dans ses bras, car il avançait beaucoup moins vite qu'elle, et ne le lâcha qu'une fois assise sur la bordure du promontoire rocheux. Ses jambes pendaient dans le vide, où les embruns léchaient ses mollets dénudés. Elle contempla les vagues qui venaient s'écraser sous elle, l'écume blanchâtre qui s'étendait à la surface de l'eau. Le bruissement du ressac la berçait. Elle se serait volontiers assoupi quelques minutes si l'endroit ne devenait pas malfamé à la tombée de la nuit. Ucello sauta sur son épaule et frotta amicalement ses branches contre son visage. Alise lui sourit, puis le tapota d'une main avec de figer ses doigts sur le collier de sa mère qu'elle portait autour du cou. Elle ouvrit le médaillon, révélant le portrait d'une femme qui lui ressemblait beaucoup. Elle avait hérité du physique maternel, alors que son caractère froid et altier se rapprochait davantage de celui de son père. - Maman, murmura-t-elle en se penchant par-dessus la mer, serais-tu fière de moi si tu étais encore là ? Je sais combien tu aimais cette étendue, peut-être plus encore que moi. C'est la seule chose que je sais de toi et j'espère que ma victoire au Parlement, lorsqu'elle surviendra, te satisfera. Aux grandes étapes de sa vie, Alise venait se confier dans la baie de Salencre qui était devenue un peu sa confidente, presque une amie. Elle s'adressait à sa mère, dans l'espoir que celle dernière, dont l'âme était certainement auprès de Lugia, puisse l'entendre. Ce jour-là ne faisait pas exception. Elle déposa un baiser dans sa main, puis le souffla en direction des remous agités du port. Ce rituel lui avait presque toujours porté chance jusqu'à présent et, pour une cause aussi noble que celle-ci, elle savait que la bonne étoile de sa mère veillerait sur elle jusqu'au bout. - Ça commence à se rafraîchir, dirait-on. On rentre ? demanda-t-elle ensuite à Ucello. Il approuva en tournoyant sur place et choisit de regagner sa pokéball afin de l'alléger de son poids sur le trajet du retour. Ce fut donc en tête à tête avec elle-même qu'Alise parcourut le chemin en sens inverse. Elle suivait le petit muret qui bordait la plage et avait ôté ses souliers pour marcher pieds nus sur l'asphalte tiède du trottoir, recouvert par les grains de sable que le vent portait jusque là . Elle était perdue dans ses pensées quand des éclats de rire la ramenèrent à la réalité. La nuit était tombée, à présent, et seuls les lampadaires trompaient la pénombre. Elle parvint grâce à eux à distinguer les silhouettes d'un couple qui se promenait main dans la main au bord de l'eau. Alise les contempla, à moitié envieuse, à moitié mélancolique. Elle n'avait pas eu de véritable relation durant ces dernières années, préférant de loin faire passer sa carrière politique au premier plan. En dépit de cela, elle avait parfois envie de se blottir dans les bras de quelqu'un, notamment quand la tâche devenait trop ardue, comme cela avait été le cas dans sa lutte contre le Starossier. À maintes reprises, elle avait songé à inviter Mo à sortir, le seul jeune homme qui lui plaisait vraiment, mais elle n'avait pu s'y résoudre par rapport à Candice. Elle n'aurait pas voulu que sa meilleure amie se sente exclue s'ils avaient dû tisser de nouveaux liens entre eux. Elle avait donc renoncé à cette idée, mais ne l'avait pas totalement effacée de sa mémoire pour autant. Elle allait reprendre sa route lorsqu'un rayon de lune éclaira le visage des deux amoureux. Elle se figea, stupéfaite par ce qu'elle voyait. La femme avait enlacé son compagnon et l'embrassait avec tendresse, mais ce n'était pas cela qui la désemparait. Ce couple anonyme n'en était pas un : il s'agissait de Candice et Mo. Dire qu'elle n'avait rien vu ! Depuis combien de temps cela durait-il ? Elle se sentait à la fois blessée, bien qu'elle n'en veuille pas à son amie d'avoir fait ce qu'elle n'avait pas osé, mais surtout trahie qu'ils aient gardé un tel secret. Sans doute avaient-ils eu les mêmes scrupules qu'elle à ne pas vouloir qu'elle se sente mise à l'écart. Elle resta encore un instant, immobile, à les observer. Elle ignorait ce qu'elle ressentait exactement. De la joie pour eux, de la peine... Toutes ces émotions étaient si confuses qu'elle ne parvenait pas à les démêler. Elle finit par tourner les talons et par s'éloigner avant de prendre le risque d'être repérée. Elle ne voulait pas qu'ils la voient. Elle ne voulait pas qu'ils sachent qu'elle savait. Elle voulait simplement rentrer. |
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